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Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
6 avril 2014

L'OMBRE DE NOËL (épisode XVI)

Servant, ce chevalier. Sa baignoire est un havre fragile. L’ombre incrédule a l’impression que si elle la touche de trop près, elle va disparaître. Elle ricane dans l’eau qui la bichonne, et se donne quelques coups encore. Enfin débarrassée de cette odeur de mort qui lui mangeait la peau. Dans le miroir, elle a regardé son œil injecté de sang, son ongle ne l’a pas raté. Elle se donne des coups pour se punir de se donner des coups. Dire que j’ai failli casser ma pipe la nuit de Noël ! vitupère la pauvre chose émerveillée, et que j’ai réussi à y échapper... Double miracle.

Cela ne pouvait arriver qu’au cœur de ma nuit. Le joli jeune homme vert l’a trouvée là, victime de la rue Lepape dont elle se méfiait tant, à quelques pas du numéro 65, étendue sans bruit. Recouverte de son châle comme d’un linceul. Son corps de biche affamée servait de trampoline aux flocons boulimiques. Il l’a soulevée comme une enfant endormie, et l’a ramenée chez lui sans qu’elle y comprenne goutte. À force de vin chaud et de petites tapes merveilleuses qui n’ont rien à voir avec celles qu’elle s’inflige à elle-même, elle a fini par ouvrir les yeux sur le canapé rouge, lui demandant si lui aussi il avait croisé un drôle de renard bleu.

*

Le jeune homme lui a préparé une soupe au potiron et du pâté en croûte, elle a mangé pour lui faire plaisir, elle n’avait plus faim. Elle s’est rassasiée de lui. Il a été tellement éloquent, tellement élégant, tout ce qu’on peut attendre d’un chevalier de Bagnolet, qu’elle a voulu lui rendre la lettre rose qu’elle trimballe avec elle depuis qu’elle l’a chipée. Rouge, bleu, rose, les couleurs clignotent sous ses yeux, elle voit défiler une neige floue, folle, la ribambelle des chevaliers. Tout de même, elle ne pouvait pas lui dérober son âme, à cet homme qui existe à peine, inespéré. Déjà qu’elle a jeté la sienne aux ordures, elle pourrait quand même prendre un peu soin de celle des autres. C’est à cela que mes présents sont destinés, distribuer à mes amis une âme liquide, coulante, épicée, alors si c’est pour faire l’inverse, que de la gueule. Je ne suis vraiment qu’une sorcière vitupérante. Mais malheur. Elle a eu beau tourner et retourner le contenu de son sac, le butin avait bel et bien fondu, lui aussi, sans pouvoir compter, lui, sur l’aide d’un prince miraculeux.

L’adieu d’Adèle

Le petit jeune homme lui a pourtant raconté qu’il attend au désespoir des nouvelles de son aimée. Ils se sont fâchés au mois de novembre pour une histoire redoutablement bête (ce sont les plus graves), et depuis elle ne lui répond plus. Il lui chante des cantates sur son répondeur, il y pleure, il y joue de la fûte - bon, il l'a peut-être insultée une fois ou deux aussi, mais quoi ? On a toujours l'impression que ces machines n'enregistrent pas vraiment, que leur déversoir fait semblant de gober nos plaintes, pour de faux... Le contraire de l'encre sympathique, en somme, la voix qui s'écrit la première fois, pour s'abîmer aussitôt dans l'éternité obtuse de celui qui ne vous parle plus.

Il ne comprend pas pourquoi leur histoire se referme ainsi sans prévenir, déjà fanée, peut-être, qu’a-t-il pu se passer ? Il rêve toutes les nuits qu’il retient Adèle par la manche, mais qu’il tombe dans cette bourrasque béante, aspiré dans le coude d’Adèle. Coincé à l’intérieur. Si je comprends ce que signifie ce fichu rêve, elle va rappeler, j’en suis sûr. Vous comprenez, vous ? L’ombre ne sait pas trop, elle sourit… Le chevalier dit qu’il a quand même invité sa tendre pour le réveillon de Noël, il l’a suppliée de venir chez lui, une tout petite fois encore, même si c’est pour se dire adieu. Une petite dernière. Ce serait beau, un réveillon d’adieu… Il dit encore : Je ne comprends pas, non seulement elle ne m’a pas répondu, mais j’ai l’impression que mon courrier disparaît, ma grand-mère m’a envoyé une lettre avec des billets et des photos qui n’est jamais arrivée. Et si c'était Adèle qui se venge, qui me pique mon courrier ? C’est minable ! Est-ce que je lui ai trop téléphoné ? Les chevaliers ne savent pas se sauver eux-mêmes, c’est bien là leur drame, et le petit jeune homme se prend la tête dans les mains en regardant le plafond, pour invoquer peut-être le dieu des Chevaliers – l’ombre aimerait bien lui être présentée.

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