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Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
14 avril 2014

L'OMBRE DE NOËL (épisode XVII)

Ou alors mon Adèle m’a répondu, mais on m'a confisqué sa lettre. Le chevalier regarde encore une fois vers le ciel, se perd en conjectures, boit du café et du champagne en même temps, au bord des larmes. Il se lève, se rassoit, se perd en hypothèses. Une gorgée par possibilité. Vous pensez que j’ai tout gâché avec mes coups de fil ? J’y suis peut-être allé un peu fort, il faut dire. Pourquoi cela ? Eh bien, je lui en ai passé quelques bonnes dizaines… Il faut me comprendre, je devenais fou. Par dizaines, vraiment ? Peut-être même bien un peu plus. Peut-être cent, mais quoi ? La chevelure du doux jeune homme est plus batailleuse encore que la dernière fois. Il se bat avec son espoir. À moins qu’il ne se doute de quelque chose ? L’ombre a envie de pleurer. La langueur du fond des âges procurée par la baignade s’est envolée d’un coup. Pas de cadeau pour l’Ancien, pas de réponse d’Adèle. Un sale coup du sort. La nuit de Noël aurait pourtant dû nous épargner ces déconvenues.

Ce n’est pas le genre de ma nuit, quelque chose ne va pas. Elle se demande si elle doit tout dire au chevalier. Même si la lettre rose est perdue, il serait au moins dans cet enchantement de savoir qu’elle existe. En même temps, l’ombre vient de se faire un ami, tout droit sorti d’un Moyen Âge futuriste. Ne serait-ce pas impardonnable, et si triste, de le perdre si vite ? Pour le coup, ce ne serait plus de petites tapes qu’il lui faudrait s’administrer. Elle n’a pas envie que ce tendre sieur parte rejoindre le recoin, ce soupirail derrière l’arbre à malice, qui de son cours détourne rageusement sa vie.

Le chevalier vert se tient juste devant elle, il la regarde de sa candeur de soleil. Lui propose de partager le repas du Réveillon avec lui. Adèle ne viendra pas. Il faut que je me fasse une raison, j’ai tout démoli. Déjà que je déteste Noël, alors le passer tout seul… Mais veuillez me pardonner, je dis n’importe quoi, vous dire ça, à vous… C’est surtout que passer la soirée avec vous serait un petit cadeau que je me ferais à moi-même, vous comprenez ? Un rien inattendu, mais plein de surprises. Le jeune homme est drôle, il trébuche un peu sur les mots, parle lentement en se mordant les lèvres, ça donne envie de lui caresser les cheveux. On dirait qu’il regrette tout ce qu’il dit sitôt prononcé, il aurait voulu le dire mieux, cela se voit. Ou peut-être dire l’inverse de ce qu’il dit. Alors il reprend : C’est bien peu de chose, mais si je peux vous offrir une soirée, quelques heures au chaud, mademois… euh, madame. Appelez-moi Comtesse, coupe l’ombre. Je veux bien rester, merci. Un millefeuille de foie gras aux cèpes, ça ne se refuse pas. Reposez-vous, Comtesse, reprend le jeune homme en rougissant un peu – ce sourire… –, je mets la dernière main au plat.

Le cadeau le plus beau

L’ombre ne croit pas à son aubaine. J’ai failli m’endormir pour toujours, mais est-ce que ça ne valait pas le coup ? Et un petit coup sur le nez par réflexe, pour saluer l’occasion, s’en punir peut-être. En attendant, elle ne sait pas ce qu’elle va offrir à l’Ancien. Forcément, c’est avec lui que ça coince. Et puis elle se dit : Tant pis. La lettre d’une inconnue, c’était un don inestimable. Mais tout n’est peut-être pas perdu. L’ombre veloutée, qui se sent redevenir solide, changer de texture sous la chaleur du logis auquel son corps de vieille enfant n’était plus habitué, demande une feuille blanche à son ami du 65. Et aussi s’il peut lui faire cadeau d’un Bic et d’une enveloppe. Elle aime bien son idée. C’est lui, l’Ancien, qui décidera, ce qu’il écrit, s’il écrit, à qui il adressera ce petit papier, sa pensée ou sa vitupération. Il peut s’écrire à lui-même ou laisser la feuille blanche à jamais pour en faire un petit lieu d’attente, une promesse toujours réitérée, un creux à remplir. Quel présent plus inépuisable qu’une lettre ouverte ? Un cadeau blanc. Immaculé. Appelé à vivre une nouvelle vie ? Celle que l’Ancien aura décidée.

Et soudain, elle comprend. Si là se tenait le secret de son horreur du rite des cadeaux, au vieux camarade ? Il a un mal fou à entrer dans l’univers des autres. À se laisser emporter par eux. C’est lui qui happe les êtres dans son sillage, pas l’inverse. En laissant une pensée, une offrande adverse s’inviter dans son paysage, c’est un peu de nuit qu’il fait entrer, quelque chose qui n’est pas lui. Alors, le coup de la lettre virtuelle, ça peut macher. Il n’y verra que du feu. Elle ne projette rien, ne lui impose rien. Ce présent-là, il en fera ce qu’il veut.

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