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Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
20 février 2014

L'OMBRE DE NOËL (épisode XIV)

Marie. C’est une véritable catastrophe, je n’ai pas de cadeau pour elle. La Comtesse des glaces se donne un petit coup, la rue semble l’engloutir. Depuis quelques jours, elle marche trop, ou pas assez, elle ne sait plus, ses jambes flageolent mais l’emportent toujours plus loin. Pour qui donc au fait a-t-elle prévu le bonhomme de neige ? Mais si, pour Marie, bien sûr, alors, vieille chose, de quoi tu t’inquiètes ? C’est Marcel. Elle savait bien que quelque chose la tracassait. Elle ne sait toujours pas si elle a bien fait. Avec l’embout métallique d’un bouchon de champagne glané devant le Bal perdu, le bistrot à côté des pompes funèbres, elle a fait palpiter des torsades, elle a contorsionné le fer jusqu’à obtenir une toute petite chaise. Marcel se plaint toujours de devoir asseoir ses hardes mitées sur sa vieille couverture de nuit.

Bien sûr, ce siège minuscule accueillerait plutôt un Lilliputien, mais s’il ne peut pas s’installer, lui, il disposera au moins d’un refuge pour les objets tout petits dont il fait la collection très sérieusement. On n’imagine pas tout ce qu’on peut trouver dans la rue, quel capharnaüm. Le monde entier est un gigantesque appartement, leur logis céleste. Pour l’instant, Marcel range ses trouvailles dans un sac en plastique, c’est une lente et silencieuse collecte, qu’il contemple chaque jour ou presque. La carte d’étudiant de Vincent Lindel, étudiant en licence de biologie, une capsule de canette, un ticket de métro, le capuchon d’un stylo (n’était-ce pas celui de Marthe ?), la photo d’identité d’une inconnue – une quinquagénaire à l’air revêche –, un tout petit maillet (pour assommer le froid ?), une feuille morte, une écharpe en laine bleu nuit qu’il devrait plutôt se passer autour du cou mais préfère regarder sans rien dire, une clé mais de quoi ou d’où ? Je pourrais lui construire une chaise ou un petit rangement en fer pour chacune de ses pièces de collection, se dit l’ombre.

Un renard qui s’ébroue

Elle ne voulait pas s’avouer que c’est à Marcel qu’elle aurait voulu inventer le présent le plus chatoyant. Même s’il n’est jamais vraiment là, même si elle perd ses mots devant lui, se met à danser sur ses pieds quand il la regarde, incapable de tenir debout. Mais, depuis qu’elle est devenue ombre, depuis que, peu de temps après avoir quitté le mari, un homme est venu de nuit sous le pont s’enfoncer dans sa chair au milieu de tous les camrades rendus inoffensifs par le sommeil et la gnôle, la petite chose n’arrive plus qu’à les aimer tous à la fois, sans discernement, sans différence, sans plaisir. Comme un tout, indissociable et sans saveur.

Ils ont changé d’emplacement pour installer leurs nuits, chassés par la bande de Montreuil de leur pont que n’importe comment elle ne pouvait plus regarder dans les yeux. Son amour est parti derrière l’arbre, rejoindre tous ces ces bouts de vie qui s’empilent et ne sont plus les siens. Alors, même si Marcel est son prince, même si Colette est son amie du monde, non, elle ne peut rien y faire, elle les considère, indifféremment, comme ses frères du Gisement, voit bien qu’ils ne la voient plus. Elle trépigne parfois mais la plupart du temps n’insiste pas, préfère marcher, ne leur en tient pas rigueur. Ils ne l’écoutent pas, certains même l’insultent de temps à autre, mais comment leur en vouloir ? À quoi diable reconnaît-on une ombre ?

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