Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
9 février 2014

L'OMBRE DE NOËL (épisode XIII)

Oui, Hésiode aime promettre et rassembler, utiliser du papier très doux et très cher au grain de Mésopotamie pour le plier en quatre. Enveloppes, petites boîtes où enclore ce qu’il butine. Attraper en son cœur un petit bout de vide : sitôt enroulé, il devient soudain quelque chose. Avec sa voix très douce, Hésiode parle si bas qu’on peine parfois à le suivre dans ses raisonnements alambiqués, cela n’arrange rien… Déjà qu’auprès de lui l’ombre se sent toute petite et très vieille. Qu’elle a toujours peur de ne pas comprendre ses syllogismes. Sybillins et piquants. Ses embrouillaminis.

Ainsi, la Comtesse des glaces, qui a réussi à glaner quelques euros dans le métro – une très jeune fille et un vieux monsieur lui ont donné de vraies pièces, pas de la ferraille dont on se débarrasse, avec en prime un sourire gros comme leur tête –, se paie le luxe d’acheter pour son pâle ami quelques feuilles linéagineuses de papier marbré, violet et argenté. Quelle impression lunaire de passer à la caisse, gratifier le vigile d’un sourire carnassier sans craindre qu’il vous demande d’ouvrir votre sac édenté. Il la suit du regard, se méfie un peu quand même, semble hésiter à l’interpeller. Si les camarades savaient… Au lieu de pourvoir le Gisement en quartier général, en pain ou en jambon pour la nuit de Noël, ou même simplement trois ou quatre clémentines, elle dépense ses précieux euros pour acheter un papier de rien du tout, un vulgaire emballage… Mais Hésiode pourra en recouvrir ce que bon lui semble, ce qu’il a envie de protéger. L’enlacer de son sceau. L’ombre amoureuse de Noël trouve, elle, qu’il a raison.

À quoi reconnaît-on une ombre ?

Elle s’affaisse, la toute petite ombre, elle ne marche pas très droit, et son œil déborde toujours d’une drôle d’eau sans couleur. Quand est-ce que ça s’est passé ? Elle a oublié. Quand est-elle devenue ombre ? Au détour de quel mois son corps, son nom se sont-ils effilochés, comme pour se dissimuler ? Un progressif effacement, une imperceptible abstention. Tout ce qu’elle faisait, sa vie à l’intérieur, est parti se cacher derrière un arbre, elle ne la voyait plus, soudain, pouvait encore moins la toucher. Elle a oublié, tout simplement, ce que c’est. Aller au café avec les amis, commander un deuxième thé sans réfléchir pour se jeter dans la conversation, et sortir son porte-monnaie. Prendre le train. Aller peut-être au travail. Se laver vraiment, pas comme un chat pelé. Lire tranquillement au chaud en écoutant les informations. Elle ne lit plus, ou quelques mots à peine qui lui mangent les yeux. Lui donnent des vertiges. Pourquoi se plonger dans un autre monde, elle y baigne de plain pied ? Elle ne peut pas se laisser approcher par la vraie vie – ou par la fausse –, ce n’est pas prudent. Et si c’était eux tous, les autres, ce « ils » pendouillant dont les camarades parlent à tout bout de champ, qui vivaient de l’autre côté de la vitre ? Et si la vie par terre était la seule réelle, celle qui vous imbibe pour de vrai ?

Mettre une quiche au four. Téléphoner à sa nièce pour lui raconter une histoire. Pleurer en écoutant un disque. Pas besoin de disque.

Publicité
Publicité
Commentaires
Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
Publicité
Publicité