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Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
1 février 2014

L'OMBRE DE NOËL (épisode XII)

Et puis elle se retrouve devant chez Gibert. Hésiode Hésiode, ta cravate rouge va bondir de joie, se dit l’ombre mystique en s’adressant pour elle-même à son fier camarade. Bon, toi aussi, mais je préfère parler de ta cravate, c’est plus convenable, se dit l’ombre tapie. Car toi. Toi et ta stature… Je n’ai jamais osé m’adresser directement à toi, même quand tu n’es pas là, ça me poursuit, je parle à tes poches. La petite vieille pas si vieille n’a jamais su d’où venait Hésiode. Elle a vaguement entendu un jour qu’il avait monté une société d’informatique à son compte qui avait fait florès avant de péricliter, mais les rumeurs sont comme les sœurs, on sait à quoi s’en tenir. Non non non, il est temps de rectifier l’expression, s’égosille la pas si pauvre vieille chose en son châle. Les rumeurs sont bien plutôt comme les frères, à vous enfermer dans des petites boîtes, se dit-elle.

Alors qui sait d’où vient Hésiode, et quel besoin de le savoir ? Hésiode cette année a été très malade. Pendant des semaines, il a craché du sang au milieu des camarades, à en dessiner des flaques qui repeignaient le Gisement, sur lesquelles les camarades valdinguaient l’un après l’autre. Et puis il a passé de longues semaines à l’hôpital. Marie a pleuré des jours, avec son cœur d’agneau elle insistait pour que chaque matin les camarades lui écrivent, quelques lignes chacun à leur tour sur des papiers qu’ils trouvaient dans des poubelles, des pages de carnets qu’ils arrachaient dans les magasins – dans la rue, écrire aussi s’éloigne. Comme le reste, n’est plus à portée de main. L’Ancien trouvait le moyen d’engueuler Hésiode, salaud, tu désertes, je saurai m’en souvenir, sale traître, petit merdeux de Bagnolet, tu vas voir ta gueule à ton retour. Ils lui parlaient du ciel et de leur gamelle, du Gisement et du froid, et aussi des chansons qu’ils inventaient pour tenir presque le coup.

Un jour, il est revenu, avec l’interdiction de boire une goutte de quartier général – leur gnôle. Comme ils n’ont pas de pièce à eux, ils trouvent des substituts, petits havres fragiles où s’enrouler frileusement, et la bouteille bleu nuit que de fois en fois ils dérobent au Franprix de la place de la Mairie en tient le délicieux office. Hésiode aime emballer les choses, les dissimuler, les enrober. Faire de tout petits paquets, même s’il n’y a rien dedans – rien à part ses songes et les borborygmes de son passé, infranchissables. Pas comme ces gros cadeaux autour du sapin, dans les magasins. L’ombre n’a pas encore osé aller vérifier, mais elle sait bien qu’ils sont, eux, pleins de vrai vide. Quel symbole, quand on y pense. Emballer le néant, il sait bien faire, notre monde. Notre nouveau monde, si près de devenir lui aussi un ancien, gobé par sa propre voracité. Et puis, on le sait, Hésiode ne cesse de le prédire, elle n’est pas loin, de ce monde, la fin. Cette dissolution, cette absolution que l’on proclame, annoncée le 21 décembre 2012. Plus qu’un an, alors ? Selon les jours, les camarades du Gisement prennent de diverses façons ses bobines de Cassandre, ses augures de Nostradamus. Ils rient, ou se taisent. De temps en temps, l’Ancien lui balance une gifle, Hésiode ne semble pas s’en apercevoir. Et, toujours, Marie pleure.

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