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30 décembre 2013

L'OMBRE DE NOËL (épisode IV)

Ma vie en boîte

Le jour du moineau… Les pensées de l’ombre s’emmêlent, ses jambes s’ankylosent sous leur tricot confus… La petite chose avait déposé délicatement l’oiseau blessé dans les mains de l’Ancien, après avoir amadoué la bestiole pendant une semaine avec des miettes et des ensorcellements désolants. Sans un bruit de bronche, le vieux bonhomme avait donné une gifle à cette pauvre ombre grise et déposé le petit animal sautillant à côté de lui avec des coups de pied qui l’avaient écrasé tout net, sans un regard, avant de cracher sur elle sa bile béante.

Alors, ça a beau vous fendiller le cœur, autant ne pas se donner trop de mal. Cela fait trois ou quatre années, peut-être, qu’elle en a pris, presque, son parti. La vieille peau nostalgique qui aime Noël par-dessus tout et malgré tout, comme un petit exploit inconséquent, se fait un point d’honneur à offrir à l’Ancien, désormais, ce qui tombe sous sa main de créature des ombres. Pas question de se mettre la rate à sang. Pour cette fois, elle ne s’est pas encore décidée, mais elle se dit qu’elle pourrait tout simplement faucher une lettre dans la boîte du numéro 65 de la rue Lepape, fracturée depuis des semaines.

Elle se demande ce que trafiquent ses habitants. Ils ne sont même pas fichus de la remplacer, les bigorneaux. Quel petit malheur. Si j’avais la chance d’avoir un logis, moi, avec le mini-logis magique qui va avec, la maisonnée vivace des colis colibris, des courriers célestes, je peux vous dire que je ne laisserais personne y toucher. Je te la bichonnerais, oui, je te la lustrerais tous les matins avec un gant de crin. Je te la parfumerais à Dieu va, à Dieu vient. Mais enfin… puisque les ingrats la narguent avec leur petit logis ouvert à tous les vents, elle le prend comme une provocation. L’Ancien, il a beau coiffer de son mépris insane tout ce qu’on peut lui dédier, vomir ce qu’on lui adresse, recracher instantanément ce qu’on lui prête, il ne bouderait tout de même pas une enveloppe manuscrite. Ce boîtier secret, inassouvi, saurait-il traverser sa nuit ?

Alors que Marcel… Misère de Marcel. Est-ce qu’elle a bien fait ? Il vit en lévitation. Son homme secret. Elle ne comprend pas ce qui l’obsède dans ce météorite humain qui semble installé dans une autre constellation. Pourquoi s’attacher à quelqu’un qui ne vous dit rien ? Elle s’administre une courte taloche, prends-toi ça dans la face, maudite comtesse. Parfois, tout de même, ils partagent une cigarette, et, dans l’espace de ce rabougrissement, le temps que la cibiche devienne mégot, il a l’air de se confier à ce drôle d’engin entre ses lèvres.

Elle n’est pas susceptible, la petite vieille qui avance. Elle veut bien faire semblant de croire que c’est à elle qu’il parle. Le temps d’un charme, se prendre pour une cigarette. Et de toute son âme frelatée elle écoute Marcel lui chuchoter ses souvenirs grêlés.

Il lui dit quand j’étais serveur je m’imaginais que je faisais le service pour ma mère. Elle est morte en Algérie quand j’avais quatre ans, ma reine mère. Justement. Je lui apportais des cafés fumants, des thés à la menthe aux pignons, des crèmes à la fleur d’oranger, je la servais toujours en premier, même quand le bistrot était plein à étouffer. Pour l’empêcher de mourir à nouveau, lui dire ce que j’ai gardé à son intention au fond de mon crâne sans savoir qu’en fiche, les secrets de mes souvenirs, les souvenirs peut-être de mes secrets, et puis cette odeur de jasmin qu’elle emmenait partout avec elle comme son sac à main, je ne sais même pas où est sa tombe. Et puis tu sais je n’ai jamais compris pourquoi le Jeannot m’en voulait comme ça, moi qui lui avais rendu service ! Marcel est entré sans prévenir dans une pièce plus reculée, un autre bistrot de la mémoire… Qu’à cela ne tienne, elle écoute. La cigarette tend l’oreille, elle aime les histoires d’enfance, surtout quand elles finissent mal. Enfin, cela ne me dit pas si ce que je lui ai dégoté va lui plaire, à mon illuminé. Si, pour cette nuit de Noël, cette obscurité pas comme les autres, où l’on s’y prend tous les ans, à se moquer de soi-même en attendant pourtant l’impossible, le miracle, l’éclipse des doutes, si cette nuit des anges le petit cadeau qu’elle lui a trafiqué saura lui frayer un chemin jusqu’à lui.

 

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Commentaires
B
Pourquoi y a-t-il une publicité proposant une assurance animaux juste sous ce texte qui nous parle des avatars d'un petit moineau ? Commande ou coïncidence ?
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