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Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
4 janvier 2014

L'OMBRE DE NOËL (épisode VIII)

La vie en photo

Un jour, encore, a déposé ses pieux atours sur le monde. La petite vieille chose est repassée au Gisement, elle a trop marché. Colette et Marie sont en train de fureter dans les affaires entassées çà et là, elle n’est donc pas la seule… Elles picorent, elles chipotent, elles rient. Dans le bardas de l’Ancien, elles ont trouvé un vieil album. On y feuillette une famille photographique, trois enfants blonds qui rient dans la campagne. Sous une tonnelle de glycine, devant une sculpture fabriquée avec des bouteilles en plastique, ils boivent de la grenadine. Le plus petit en a renversé sur ses pieds, c’est peut-être ce qui leur donne ce sourire de ravage. Le père pourrait bien être l’Ancien, comment savoir ? L’autre vie ne passe pas par le tamis de la rue, la nouvelle ne laisse rien filtrer dans cette passoire qui fait taire les histoires.

Marie replace l’album dans le gros sac de jute. Elles aiment lire les choses invisibles de leurs compagnons de rue, mais là, c’est trop, les photos charrient derrière elles trop de vitrines et de visions. Alluvions. Sédiments. Il est difficile de s’en défendre, cela répand dans l’air un gaz toxique, un poison qui vous prend en tenaille et vous donne un peu envie, trop besoin de vivre dans les photos. C’est malin, alors que vous veniez de vous dire que la vie à l’intérieur, c’est finalement très surfait, les maris avariés, les bûches de Noël muettes, les lits trop chauds et trop grands dans lesquels on ne se rejoint jamais, les mères trop ou jamais assez folles, les frères indifférents et accusateurs, les choses qu’on ne se dira pas. C’est vraiment trop bête, autant les laisser dans le vide-ordures poltron qui les héberge…

Mais il faut toujours que les photos et leurs rengaines viciées viennent vous affoler en vous mentant sur la marchandise, qu’elles vous dessinent un monde qui n’existe pas où vous voudriez d’un coup vous absorber tout entier – vous jurez, même sans un mot, mais pitié, que la photo m’engloutisse m’incorpore m’emmène avec elle. C’est un jeu où l’on perd toutes les manches, on prend un coup de massue sur le cœur, tout ça pour que ces vieilles paperasses restent coites, se refusent à la confidence, nous toisent de leur contenance frigide. Sans façon.

Colette se remet à fredonner, Marie reprend l’album, semble hésiter, le cache sous sa couverture. De quelle vie secrète va-t-elle se nourrir, plus étanche, plus disponible, qui ne lui appartient pas ? Les trois femmes ne parlent pas – c’est une des premières choses qu’on apprend aussi en s’installant dans ce lieu sans lieu. Les conversations n’existent plus, les minutes se morcellent, le temps s’épuise. On lance quelques mots perdus, et puis on oublie, et puis quelqu’un vient s’installer au Gisement qu’Hésiode essaie de chasser parce qu’on n’a pas de place pour tout le monde ici, c’est tout de même pas l’Armée du salut. Et puis Marie pleure et l’Ancien lui lance sa chaussure à la figure, ça finit toujours par la même bouillie. Qu’est-ce qu’on pourrait bien dire ?

 

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Commentaires
B
Il manque la photo pour qu'on puisse mettre en scène.
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