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Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
6 janvier 2014

L'OMBRE DE NOËL (épisode IX)

L’ombre demande à Colette si elle veut un bout de pain qu’elle vient de ramasser sur un banc, en bas de la rue Leblanc, grande pourvoyeuse en repas de fortune oubliés sur un pan de fenêtre. Mais Colette se tait encore et la silhouette croque le quignon en se disant que c’est Marie qui a raison. Il ne faudrait peut-être plus que pleurer et arrêter de croire que nous sommes autre chose que des vieilles croûtes. Mais Colette tend la main et attrape une toute petite bouchée du pain, et l’ombre sourit. Colette a de longs cheveux blond cendré, son visage émacié disparaît sous leur épaisseur, comme une deuxième tour qui la protégerait de l’immeuble jaune, en face, et des gens avec qui elles partagent leur chambre. Depuis quelque temps, l’ombre aime bien dire « Allez, à tout à l’heure les filles, je vais me reposer dans ma chambre ». Petit parfum d’intérieur…

La petite vieille dame a toujours adoré ça, faire semblant. Jouer à la princesse, à l’enfant. Une vieille dame, c’est un peu tout ça, non ? Une diva qui retombe en enfance… Et puis Marie dit à Colette d’aller chercher de la gnôle. On dit toujours que c’est Hésiode, mais cette fois c’est toi qui as tout sifflé, alors c’est ton tour, ma fille, et puis avec ta tignasse de reine ils ne se méfient pas de toi. Bouge-toi, fillasse ! Colette ne fait pas un mouvement, elle chante encore un peu et Marie pleure, c’est rassurant. Au Gisement comme partout, on a ses habitudes, ses repères insipides. Rituels qui s’ignorent. La petite ombre grise a assez dormi, ou assez pas dormi, ou les a assez vues. Les rues lui crient de ramener sa fraise.

La lettre la plus rose

Elle a donc repris son épopée, retrouvé ses pensées. Hier, à la tombée de la nuit, elle est allée fureter dans le petit logis des gens du 65. Elle a lancé ses doigts graciles dans la carcasse ondulée, en a retiré une liasse à moitié mordue par la pluie. C’est une honte ! a-t-elle toussé sous son petit bonnet russe. Tant de lettres, mirobolantes, imméritées, tout ça pour ne pas les lire, quel gâchis. Comme si c’était une denrée qu’on peut snober… J’en veux bien, moi, de leur courrier, s’ils croulent sous les objets et que ça les empêche de se souvenir que les lettres sont des vivres de première nécessité, on peut partager. Ces gens de l’intérieur, ces fous qui croient avoir un logis, à croire qu’ils sont dégénérés… Alors, elle a détaillé les enveloppes et subtilisé la rose - la plus appétissante. Et puis elle s’est dit, je vais les prévenir, moi, ces braves gens du 65. Leur dire de mieux veiller sur leurs effets personnels. Cela détournera les soupçons. La dernière chose que fait un assassin, c’est bien d’aller toquer à la porte de l’occis, n'est-ce pas élémentaire ? Je ressemble à un manche à balai et je ne sens pas la rose, mais j’ai tout de même pas avalé ma logique…

 

 

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