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Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
26 mai 2008

LACRIMOSA

Vous, je ne sais pas. Mais je crois que je peux estimer le baromètre de mes émois à l’effet que déclenche sur mon système lacrymal une idiote de petite musique : les sonates miniatures, ces petits concertos rapiécés qui sortent du téléphone quand, au travail, la société de coursiers me met en attente. Genre La Lettre à Élise… Malheureusement, il y a très peu de chance pour que ce soit une sonate, et encore moins un concerto. Il ne faut pas compter sur moi pour vous le dire.

Même si, de temps à autre, mon bon copain l’instinct me dicte des formules échevelées à ces questionnaires à brûle-pourpoint qui, au moment où on s’y attend le moins, au creux de la journée, pendant la digestion, au creux de la rêverie la plus anecdotique, vous tombent dessus pour mettre à l’épreuve votre sacro-sainte culture générale qui, comme chacun sait, se réduit à un méchant mythe, c’est-à-dire à quelques bribes du fond des âges, aléatoires et suicidaires et que, miracle, je vois mon interlocuteur, auteur retors d’une question piège, se crisper d’étonnement à constater que je lui rétorque à bout de souffle une réponse improvisée et, contre toute attente, à peu près juste alors que complètement inventée…

Chaque jour, j’appelle les réceptionnistes aux accents de fleur d’oranger, pour envoyer à mes correcteurs bien-aimés un maximum de textes qu’ils devront relire en un minimum de temps pour le championnat du plus bas tarif horaire au monde.

Chaque jour, donc, Dolly, Valérie et Cathy me demandent de ne pas quitter, merci. Elles ont compris l’affaire, les gredines. Il faut bien qu’elles se vengent de mes appels intempestifs, de mes rappels implorants (« S’il vous plaît, les coursiers peuvent-ils au moins essayer de joindre la personne au lieu de déguerpir au bout d’un dixième de seconde ? »). Qu’elles prennent leur revanche sur mes demandes tardives et ma voix chevrotante qui leur susurre en sous-main combien on compte sur elles, à quel point elles sont notre mère à toutes sans lesquelles on ne saurait survivre une seconde de plus… Ô Cathy, ô Valérie et Dolly, merci à vos voix suaves et vos intonations calibrées au millimètre... Et paf. Elles me mettent en stand-by, en suspens, en sursis. Et c’est parti pour Radio Nostalgie en goguette respectable. Mike Brant en catimini derrière Jean-Sébastien Bach. Pas mal, la feinte. Si on me demande pourquoi je défaille, c’est Bach, bien sûr. Allons donc…

Mais Valérie, Cathy et Dolly n’ont que faire de mes ex-voto. Elles me veulent concise, rapide, précise, déjà conquise. Elles m’exigent sans peur et sans reproche. Elles ne doivent pas être déçues du voyage…

Qu’à cela ne tienne… mieux que n’importe quel journal intime, plus réactive que je ne sais quel horoscope, plus sensible que tel ou tel confident, la petite musique de chambre me raconte de quelle humeur je suis : car, tout simplement, au bout de ces vingt-sept secondes de tête-à-tête avec le Malin, dissimulé sous les arpèges tintinnabulants, si ma voix claironne fiérotement, « Bonjour, c’est Sarah, aux éditions de l’Onguent, ce serait pour un pli au départ de chez nous, pour aller chez Chantal Maury dans le XVe arrondissement », sans me laisser décontenancer par ma correspondante qui m’interrompt douze fois et demie pour me harceler de ses faux questionnements et vraies injonctions (y a-t-il un code ? en express ou en normal ? à quel étage ? c’est une enveloppe ?) même si elle a déjà la réponse, si ces fieffées notes ne m’ont pas fait monter les larmes aux yeux, si mon point (ma pieuvre) dans la poitrine ne s’est pas réveillée, c’est que tout va bien madame la marquise.

C’est que les dix-sept livres à finir pour avant-hier et les quatre amis dont je suis sans nouvelles n’ont pas encore eu – totalement – raison de moi. C’est que je n’ai pas le cœur en charpie.

Sinon… si non… que voulez-vous que je vous dise ? Les deux ou trois portées, et l’étendue entière de mon bureau empourpré de papier périront sous l’inondation. La crue ne trouvera pas de digue à la mesure de son éboulement.

Et tant pis pour Dolly, Valérie et Cathy…

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