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Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
30 mai 2008

GRAVITATIONS GRIVOISES

Vous me croirez si vous voulez. Il faut croire que les promenades dans les herbages aériens des météorites mènent à tout. « Il y a un point phosphoreux où toute réalité se retrouve, mais changée, métamorphosée – et par quoi ? Un point de magique utilisation des choses. Et je crois aux aérolithes mentaux, à des cosmogonies individuelles… » C’est pas moi, c’est Artaud qui l’a dit…

Alors si c’est Antonin… respect.

Toujours est-il qu’il m’est arrivé aujourd’hui une drôle de chose. Vous vous dites, c’est louche, tout ça pour alimenter ses satanés aérolithes, qu’est-ce qu’elle est encore allée nous inventer ? Je le reconnais, j’ai du mal à y croire moi-même.

Tout a commencé ce matin, au bureau, toujours le même. Les éditions de l’Onguent n’ont guère changé depuis quelques jours. Le triste sire est resté triste, les obscurs gredins ne sont pas entrés dans la lumière, non, qui y croit encore ? Dolly, Cathy et Valérie ont maintenu leur course effrénée par procuration, envoyant valser leurs coursiers dans les rues de Paris de leur ton faussement égal. Seulement, seulement…

Sonia est entrée tout d’un coup dans la pièce, pour faire à ma chère Églantine une proposition indécente. Il fallait s’y attendre. Notre livre sur les fantasmes masculins décryptés, de femme à femme, par Hortense Saint-Fiacre, avait fait mouche. Une ancienne star du X reconvertie en animatrice radio, mais oui, voulait faire parler l’auteur dans son émission quotidienne. Conversations coquines, caresses créatives, il fallait quelqu’un pour aller faire salon. Pas quelqu’un. Une femme. C’est qu’Hortense Saint-Fiacre n’existe que sur la fantasmagorie de la première de couverture.

Églantine n’ayant que peu d’envie de se prêter au jeu, voilà Sonia qui se tourne vers moi… et, nouvelle planète oblige, je me suis sentie aspirée par ce cercle astral impromptu. Comment résister à la tentation égrillarde ? Badinage et libertinage s’emparèrent de moi comme un seul homme (c’est le cas de le dire) : il fallait parler au téléphone quelques heures plus tard. Sans avoir lu le livre, exposer en direct les postures polissonnes auxquelles nous invite Dame Hortense. Tout au plus avais-je contribué à sa correction. Me voilà donc plongée dans ses mille et un licencieux jeux de rôle. Une petite voix me susurre de lire en diagonale, en rectangulaire, en losange, mais, à force de butiner, j’ai peur de manquer le pistil. Abeille dévouée, je lis les cent premières pages. Mes collègues me scrutent, mi-figue mi-framboise. M’en croient-ils capable ? Théorie graveleuse, école de la gaudriole, me voici étonnamment studieuse. J’ai quand même précisé à l’assistante que je voulais connaître à l’avance les questions qui me seraient posées.

Je lis mon texte à mon indispensable Églantine. Stoïquement, sans rougir, on s’assoit en face l’une de l’autre. Elle joue à l’auditrice, je fais la chroniqueuse aguerrie. Je joue la délurée.

Et puis, c’est l’heure. À l’autre bout du fil, un jeune homme me demande s’il peut me passer le retour d’antenne. Je ne sais pas de quoi il parle… Trêve de palabres, me voilà connectée à l’émission. Un certain Bruno décrit ses crapahutages crapuleux. L’animatrice rebondit sur l’importance de l’animalité. J’écoute sagement, j’oublie que je vais parler en direct. Après tout, ce n’est guère plausible, ce doit être une plaisanterie. Et puis, ce n’est pas moi qui vais parler boutique, c’est Hortense…

Enfin, Bruno conclut. L’animatrice enchaîne, je retiens ma respiration. La voilà qui présente le livre. Mais elle me coupe la chique. Je pensais le faire moi-même, j’avais préparé une accroche… Je ne peux quand même pas lui voler l’antenne ! Ce n’est pourtant pas l’envie qui m’en manque. Déjà, je trépigne, j’ouvre et referme la bouche comme un poisson en transe en attendant qu’elle daigne enfin me solliciter. Et puis, tout à coup, la voilà qui exhorte une certaine Sarah à lui donner un exemple. Me voilà décontenancée, je ne m’attendais pas à ça. Rien ne se passe comme prévu : elle devait me laisser mener la valse, elle me demande en fait de commencer directement dans le vif du sujet en me posant une question abrupte. Je devais me faire passer pour Hortense Saint-Fiacre, mais elle me présente sous mon véritable prénom. Bon bon… je souffle un peu dans le combiné, ça résonne. Je trébuche sur les mots. « Comme ça, à brûle-pourpoint, euh… comment dire ? »

Et puis il faut sauter de la falaise. Je plonge. Et me voilà partie à exposer la position du crapaud, alors que, il faut bien le dire, je n’ai pas très bien compris à la lecture en quoi consistait exactement la chose… est-ce moi qui suis une incorrigible prude ? Je serais bien incapable de l’exécuter, là, sous vos yeux. Heureusement, il n’y a pas de travaux pratiques… Je brode… « Saviez-vous que la sexualité est avant tout une affaire de géométrie dans l’espace et de mathématiques ? On pense que le sexe de l’homme dessine un angle à 90 degrés, mais non. Quand il est allongé, il se dresse plutôt à 45 degrés environ, au pire, 60. » Est-ce moi qui prononce ces mots ? Pas sûr. « Pour optimiser cette configuration, l’idée est de respecter cette inclinaison, pour le plaisir des deux… L’idée, c’est de s’accroupir sur notre homme en étant complètement verticale… enfin, perpendiculaire à lui, quoi ! » Et me voilà partie d’un grand rire. Mais sur quelle planète suis-je donc ? Et l’ancienne comédienne de conclure : « Si je comprends bien, voilà comment croasser en chœur ! » Joli.

L’antenne est coupée, c’est déjà fini. Je n’ai rien entendu, ce n’est pas moi qui ai parlé. C’est Hortense. Le gredin vient me remercier. Ça me fait rager, moi qui avais décidé de le battre froid au bas mot jusqu’à la fin de l’année…

Pour le restant de l’après-midi, je dérive en apesanteur. Je ne suis plus Sarah. Ce n’est pas moi qui travaille. Ce n’est pas moi qui relis les manuscrits. Ce n’est pas moi qui écris au stylo rouge.

C’est Hortense.

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