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Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
4 juin 2008

UNE PANTALONNADE ENFLÉE

Aimez-vous la boursoufllure ?

Je sais. Hier, j’ai dit que j’aimais l’excroissance. Pas l’enflure. Nuance…

Bref. Je ne sais pas si vous avez vu le dernier film d’Arnaud Desplechin… pour ma part, j’ai commis cette erreur. Irréparable, j’en ai bien peur. Me voici vaccinée. J’avais pourtant juré… Après Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle), j’avais déjà pesté. Mais là, dans Un conte de Noël, il y avait ma bien-aimée Chiara (Mastroianni), qui m’a tant fait pleurer dans Chansons d’amour. En sortant de Rois et reine, haut et fort j’avais proclamé que jamais au grand jamais on ne m’y reprendrait. Mais le sujet de ce conte ironique me titillait (le déterminisme familial, la mort d’un enfant qui démantèle une famille et pèse sur les décennies et tous les autres membres, la famille comme cellule, nucléaire, siamoise, vampirique, geôlière).

Moralité, j’aurais dû m’écouter. Parce que, cette fois, il n’y en aura pas de prochaine. J’ai frôlé l’overdose, la nausée, la crise de foie. Ce film suinte de tout ce que le parisianisme snob, la prétention auto-complaisante et l’élitisme bavard peuvent produire de plus vil. La première question que je me pose au fur et à mesure que les minutes (il y en aura cent quarante-cinq ! ) s’étirent : comment peut-on réussir l’abominable prouesse, sur un sujet de tragédie antique, de ne délivrer aucune autre émotion qu’un agacement exponentiel, ne faire affleurer d’autre affect qu’une sournoise colère ?

On se dit, ce n’est pas possible, ça va finir par se déclencher. On se sent vaguement coupable. Après tout, on parle quand même d’un petit garçon mort à six ans d’une maladie orpheline, Joseph (on ne le verra pas, il sera, d’emblée, déjà mort). De parents criblés d’absence, d’un autre enfant conçu pour sauver Joseph, dans l’espoir que son ADN soit compatible. Mais Henri (Mathieu Amalric) ne saura rendre son frère à ses parents. Toute sa vie, il sera donc le mouton noir de la famille, celui qui non seulement n’aura su ressusciter son frère de ses limbes, mais aura pris sa place en naissant juste avant sa disparition. Le frère de substitution. Le mal-aimé qui laissera tout le monde inconsolé.

Tout se greffe à partir de cette scène d’exposition racontée en voix off, à grand renfort d’effets graphiques artificiels (pochoirs, figurines, etc.), et c’est là que la supercherie prend racine. Comme dans un mauvais rêve, on voit se dérouler devant nos pauvres yeux une affligeante défense et illustration de la psychanalyse. Une psychanalyse mal digérée, démonstrative, assortie de concepts philosophiques indigestes désolément abscons : à la sœur de Joseph et Henri, Elisabeth, qui s’abîme devant son père en larmes (mais alors, glaciales, les larmes, poussives, étanches, désincarnées. Pardon, Anne Consigny, mais les sanglots de pierre de statues étouffées ne me retournent pas le cœur !), le père cite du Nietzsche (en allemand s’il vous plaît). La même, chez le psy, déclame sur un ton de prof d’amphi qu’elle sait très bien que son désespoir vient d’un deuil, mais que le tout est de trouver lequel, et qu’elle sait très bien que ces paroles mêmes sont une métaphore, mais de quoi, mon Dieu ? Vous parlez comme ça à votre psy, vous ? Le pauvre… On se demande alors de quel deuil peut-elle diable parler ? Franchement, on est si bête, on a beau chercher, on ne voit pas…

Et c’est parti pour un festival de déchirements, de trahisons et de bannissements criards, épars, bâtards (je n’exagère pas, il faut me croire sur parole : Elisabeth accepte d’éponger les dettes d’Henri à une seule condition : qu’il soit banni de la famille… Si si, je vous jure, le mot est prononcé plusieurs fois). N’espérez pas obtenir une explication à cette haine fratricide décoiffante, il ne faut quand même pas trop en demander. Je pense que le très sérieux Arnaud Desplechin entend suggérer par là que l’absence de résolution à cette énigme insoutenable est en soi parlante, polysémique, symptomatique : c’est bien connu, personne dans la vie (à part lui) ne formule jamais la vérité renversante, ce retour du refoulé qui fait rage. Heureusement qu’il est là pour la faire émerger des tréfonds de l’obscurantisme populaire : la sœur n’a pas pardonné à son frère de vivre en lieu et place de Joseph et d’avoir, ainsi, gâché leur vie à tous. Du coup, elle le tue symboliquement, accomplissant enfin au nom de toute la famille l’annihilation rituelle par laquelle est censé passer leur salut, l’ultime catharsis vengeresse qui permettra à chacun de faire son deuil…

Je fais peut-être montre d’un singulier manque de bonne volonté, mais ça me laisse de marbre, de plus en plus sceptique et, il faut bien le dire, carrément hostile. Le film progresse sur le mode de la saturation : il emplit au maximum chaque plan, visuellement, phoniquement, sémantiquement. Il charge la barque jusqu’à la faire couler. Noyade assurée…

Mathieu Almaric nous sert son sketch du dandy brisé et, my God, so anticonformiste, je pense qu’on devrait lui décerner une médaille. Il tombe raide dans la rue de toute sa hauteur, il éructe à table le soir de Noël de vagues récriminations forcément virtuoses, parfaitement léchées au millimètre près, qui, bien sûr, déclenchent automatiquement chez le reste de la famille des mines outrées, it’s so shocking, mes aïeux… Il cause, il cause, il n’arrête pas. Très vite, on a juste envie de gifler sa bouille de premier de la classe-qui-parle-si-bien-et-se- démarque-tant.

Comme de bien entendu, pour compléter la mise-à-nu-enfin-exhibée-sans-tabou de toutes les névroses intimes qui jamais jusqu’ici encore de vie de spectateur et de critique n’avaient été représentées avec tant d’acuité satirique, la mère, Junon (Catherine Deneuve), déteste son fils. Encore une fois, n’y voyez pas là de ma part une quelconque surinterprétation, non, elle le dit textuellement : « Je ne t’ai jamais aimé. » Renversant. Desplechin a osé, vous rendez-vous compte ? Il nous livre une Médée moderne. Une mère indigne qui ne cède pas à la dictature de l’académisme archaïque selon lequel une mère aime forcément son fils. Et puis, parce que, vraiment, la transgression est inédite, et, l’audace, magnifique, il ne faut pas s’arrêter là. Et Junon de renchérir : « Quand tu as été un peu plus grand, je t’ai aimé, oui, un peu, peut-être. » Tremblez, mes amis, la subversion est de taille ! Ou comment transformer la pseudo-provocation en poncif déshydraté…

Et, pour boucler la boucle, Junon finira par contracter la maladie dont a péri son fils. Seul ne saurait la guérir un membre de sa famille compatible. Et celui qui sacrifiera au don, ce sera, après un suspense essoufflant, voyons, vous en doutez encore ? le coupable Henri, enfin ! Ainsi va la rédemption. Le fils maudit fait contrition… c’est beau. On l’aura compris, le titre est un pied de nez dérangeant, une antiphrase aiguë qui nous livre en fait un cruel anti-conte. Quel art de la dérision, misère, quelle distanciation !

Qu’est-ce que je suis mauvaise ! Pourtant, ils s’appellent Abel, Junon, Joseph. Ça, c’est de la référence ! On devrait hurler devant tant de confondante justesse et se pâmer de cette souffrance évocatoire. On ne fait que résister à l’endormissement. La seule chose qui nous permet d’y échapper est l’indignation qui consume devant tant de bien-pensance se rêvant impertinente, de volontarisme et de lourdeur. Pourtant, il y avait Melvil Poupaud. Je me souviens avoir fondu devant son minois fragile dans Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel. Il faut croire, après coup, que Valeria Bruni-Tedeschi-ma-chérie y était pour quelque chose, parce que, là, le Melvil, il est fade, il s’écoute parler, une sainte horreur. La verve décalée, toute en beauté équivoque, en indépendance insaisissable, rogue et tendre à la fois d’Emmanuelle Devos aurait pu sauver l’embarcation, mais, précisément : elle ne s’est pas mis subitement à jouer mal, non, ses répliques et ses mines font mouche, mais justement : quel intérêt de les utiliser dans leur exact emploi habituel, tous ces acteurs ? Pourquoi ne pas les faire sortir d’eux-mêmes, endosser des rôles de composition qu’ils interpréteraient en puisant en eux-mêmes, bien sûr, mais en s’extrayant surtout de ces typologies qui, à force, dans le clan incestueux du cinéma franco-parisien-intello-intimiste, commencent à souffrir d’un léger phénomène de redondance pléonastique ou, sorry, effet de déjà-vu ?

Le pire, peut-être, dans Un conte de Noël, est que le film prétend évoquer tout ce qui nous tue à petit feu, tout ce dont on a envie et besoin d’entendre parler, de sentiments, d’inconscient, d’êtres abîmés, tout simplement, et qu’il pêche à l’exact contraire : par une surcharge cérébrale de références trop explicites qui s’adressent aux happy few, d’analyses socio-psychotiques simplistes à force de revendication fier-à-bras et prétendument visionnaire qui finissent par s’auto-annuler, de vérisme pseudo-dégoulinant qui, se voulant absorbant, sauvage, fervent, mourant d’affleurer l’émoi par excès de larmes et de cris, assassine son sujet en le débordant, le contournant et le diluant.

On va essayer de ne pas en vouloir à Arnaud Desplechin (je l’avoue, parce qu’il est le frère de Marie, je lui aurais bien donné l’absolution, elle a quand même écrit Trop sensibles et Sans moi)… Mais, trop, c’est trop. Beaucoup de bruit pour rien.

Pourtant, ses personnages sont dramaturges ou plasticiens. Ils évoluent dans des milieux so chic, on pâlit tous d’envie. Ou plutôt, on se dit « Sauve qui peut ». Les Inrocks avaient pourtant salué un film « époustouflant ». Les Cahiers du cinéma ont déliré sur les adeptes de Derrida, sur le fait que le deuil est un don et une dette. Je ne veux même pas chercher à comprendre. Même Marianne, que je croyais aimer bien, encense cette fable familiale hors du commun. Et moi, je dis chapeau, les critiques ! Quel bel ensemble… au moins vous faites chorus. Vous renchérissez sur ce chant subtilement polyphonique et cette symphonie familiale au scalpel, quelle imagination ! Ou comment la presse, la sacro-sainte analyse cinématographique peut passer complètement à côté de ce qui peut faire vibrionner le public, les vrais spectateurs, qui, au fond de leur fauteuil rouge, rient et pleurent de ce que les films disent d’eux en leur racontant tant de mondes.

Comment peut-on écrire que le deuil est un don ? Et un plantage pareil un film époustouflant ? Je n’en sais pas grand-chose et ne désire pas en savoir plus, je l’avoue. Mais sans doute viennent-ils tous du même monde, les Arnaud et leurs compères les critiques. Aussi a-t-il réussi un parfait film de fin d’études, truffé de compagnonnages parasites et de vaniteuses lapalissades. Tout au plus a-t-il lu des livres et vu des films…

C’est bien, mon petit. T’en fais pas, tu l’auras, ton bon point !

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