Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
9 juin 2008

À JAMAIS

Un matin, à la gare de Lyon et à Esteban, qui me disait « À tout de suite », pour aller retirer de l’argent au distributeur à quelques rues de là, j’ai répondu en  riant : « À jamais. »

Tout ça parce que nous venions de nous disputailler pour de faux, qui est toujours un peu pour de vrai, en mon pauvre cœur blême en tout cas, tant cette évidence mordante qui nous lie depuis le premier jour, il y a cinq ans, quand il est apparu dans la salle qui ferait de nous de petits correcteurs en herbe chevronnés, ne peut souffrir d’accroc, si bénin fût-il, sans que la fin du monde paraisse s’abîmer sur nos têtes.

Au moindre mot de trop, entre nous – objection, désaccord, petite colère, sarcasme familier –, ce paradis perdu, dans une autre vie, où nous ne formions qu’une seule personne nous accuse de nier son existence, le renégat.

Si vous saviez… Vivre sous l’ascendance tyrannique de telles origines ! Non, franchement, ce n’est pas une vie. Bonjour l’angoisse…

Le regardant s’éloigner, j’ai un tout petit peu regretté cette réponse, oubliant vite la fierté renflée due bien illégitimement à mon bon mot. Je me suis demandé tout à coup quelle teneur elle prendrait, cette pauvre formule, si pour une raison ou une autre Esteban ne revenait jamais. Si par cette façon innocente et moqueuse de lui dire « Va au diable – même si tu sais que je t’y retrouverai », je n’allais pas causer quelque irrattrapable catastrophe. Sait-on jamais ce que cette gougnafière de vie nous réserve ?

Après tout, on me le dit, je suis une sorcière. Rassurez-vous, je ne vais pas vous faire le coup de « Et la lumière fut ». Mais tout de même, il faut se méfier. Il arrive que les brusques fulgurances qui viennent s’entrechoquer sur ma conscience prennent forme brutalement pour devenir vraies. Et je ne sais jamais, alors, si ces visions fugaces étaient des augures, simples anticipations qui me font préfigurer en rêve ce qui va advenir, ou des invocations, songes chamaniques qui me donnent le pouvoir de vouer ce que je nomme à l’efficience.

Si vous avez une réponse, chers amis mes nains, et, allez, soyons magnanimes, les géants aussi – même si ma taille modeste tendrait à les envier trop pour pouvoir les évoquer sans arrière-pensée –, je suis preneuse.

Aïe aïe aïe ! pauvre de moi !

Les petits mots d’abandon, provocations minuscules, dramaturgie amoureuse quotidienne, ne peuvent-ils pas causer de stratosphériques apocalypses ?

Il faut dire…

Dès qu’Esteban tourne le coin de la rue, ailleurs, ici, partout, j’ai peur de ne jamais le revoir. Que le destin se mêle de nous séparer. Depuis ce jour d’avril, il y a dix divisé par deux printemps, le monde s’est entrouvert pour nous donner naissance. Je vis sous l’ordre insoumis d’une juridiction inédite : celle de cet être au cœur pur qui m’a rendue à moi-même. Mon chevalier aux mille surnoms. Des yeux de ténèbres candides. Un petit garçon à l’intensité de magnésium et de sauvage grâce. Avec lui, c’est l’heure verte. Un temps qui n’existe pas sur les horloges. Il a arrêté le calendrier pour m’emmener dans un avril éternel.

Et il est toujours aussi difficile de le sentir exister loin de moi. Même si loin est à trois cents mètres.

Loin est partout où il n’est pas.

Jamais est chaque minute quand il n’est pas près de moi.

Publicité
Publicité
Commentaires
Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
Publicité
Publicité