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Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
7 juillet 2008

L’INVITATION AUX MIRAGES

Finalement, ne l’ai-je toujours su ? c’est Berthe qui a raison. Du haut de ses deux ans et demi, il –  oui, il, car vous le vexeriez en croyant que c’est une fille – cumule au bas mot douze métiers – et autant de vies. N’apprend-on pas toujours de plus petit que soi ? Une fois n’est pas coutume, je crois que je vais laisser parler l’adage.

Vous vous demandez sans doute qui est ce fameux Berthe. Au gré de ses caprices, souvenez-vous, il s’est pourtant immiscé deux ou trois fois au fil de mes aérolithes. Il est comme ça, le bougre, il s’infiltre partout. C’est même la meilleure façon de le définir, celle qui suffirait s’il n’y avait qu’une phrase à tenter pour oser son portrait.

– Qu’entends-je ? Non mais qu’ouîîis-je à l’instant ? Dis tout de suite que je m’incruste ! s’indigne-t-il déjà.

Bon, je suis bonne fille, je vais éclairer votre lanterne. Berthe est un mouton au blanc pelage, qui, il y a de cela bientôt cinq ans, a ravi notre cœur, à Esteban et moi. Mon doux compagnon l’a rapporté un soir, et nous l’avons adopté, sans plus de cérémonie, conquis par les coussinets de ses pattes, ses yeux de facétie, ses insurrections par douzaines et ses amadouages princiers. Si nous avions su, alors, à quoi nous nous exposions dès ce jour… impossible depuis de mener une conversation tous les deux sans que cet incorrigible bavard s’en mêle immédiatement, et pas de n’importe quelle façon !

Autant vous le confesser sans détour, Berthe est complètement mégalo : il vit ni plus ni moins dans le fantasme – pas plus près, pas plus loin. C’est vous dire : il a douze enfants avec Ségolène (Royal), est amoureux, entre autres, de Pinocchia, une grenouille avec laquelle dans le temps il prenait des cours de calembours-minute à Charleville-Mézières (vous avez bien lu), ville dans laquelle il se rend en trotti-trotta1 depuis Paris en seize minutes et demie. Il est très ami avec Allah, qu’il prie tous les jours (cela n’est guère compatible avec ses tendances éthyliques immodérées, me direz-vous ? que voulez-vous que je vous dise ? Demandez-lui des explications vous-même, je ne suis pas responsable des contradictions de mon rejeton), ce qui le fait entrer dans d’exquises transes : il entre en lévitation en chuintant une sorte de sourate litanique monodique, avant de s’endormir dans un bruyant et théâtral « ron-pchii, ron-pchira, rumchi-rumchi-rumchira » qui, au bout de trois à quatre minutes, tourne à l’éructation forcenée.

Et, surtout, pour revenir à nos… cabots, Berthe cumule les emplois : il est chanteur de récital pour cabaret, mais aussi psychanalyste – il officie exclusivement dans sa Peugeot –, poinçonneur de bouteilles d’eau au bar Marsala de Barcelone censées diluer les verres d’absinthe, ce qui ne l’empêche pas de faire le cuistot dans deux ou trois pizzerias tout en se faisant traducteur, conseiller financier, raboteur de fouine, lexicographe et tant d’autres…

Bref. Voilà – il est temps, n’est-il pas ? – où je voulais en venir. Je l’ai sous les yeux tous les jours, le Berthe. Il me rebat les oreilles de ses mille et une activités, il fait l’important, il ment comme il respire, il s’invente toujours plus d’existences insensées. À l’entendre, c’est lui qui a tout fait, qui est à l’origine de la plus infime bribe créée en ce bas monde. Voyez un peu : il écrit à lui seul l’intégralité des articles de Libération et du Monde, il est le réalisateur d’à peu près toutes les bonnes – et moins bonnes – séries des cinq dernières années (du bas de ses deux ans et demi ? je sais, je sais, il a la méthode. En fait, autant vous le dire dès lors, il ne changera jamais d’âge, il est immortel et installé pour l’éternité – la rebelle, la grandiose – dans la petite enfance), de Six Feet Under à Plus belle la vie, à l’exception (« Tout de même, cela prouve ma bonne foi », qu’il prétend), à l’exception, donc, de The L Word, qu’il insulte de tous les noms d’oiseaux de la Création, et qui ne trouve grâce à ses yeux – en fait, si vous voulez mon avis, ça l’a traumatisé, ne lui en déplaise, et même s’il ne l’avouera jamais, son cœur a flanché. Il faut dire, on fait difficilement plus évocateur, plus émouvant et plus pénétrant à la fois.

Il y croit dur comme fer, à sa vie à treize mille étages, il s’en repaît, s’en targue et nous rend fous. N’empêche… il vit ses rêves avec fièvre, même si la plupart ne sont que chimères.

Qu’importe ? Il les fait exister pour nous, les vit chaque jour en nous les racontant jusqu’à l’épuisement, nous coupant la parole, apparaissant partout, dans la moindre icône de nos mails, sur le plus petit chemin de voyage à l’autre bout du monde. Il vit tout et tout de suite.

C’est donc décidé. Désormais, je ferai comme lui, il n’est que temps. Fini les lamento, les trémolos et les jougs. Ma chimère, moi aussi, je vais la porter sur mon dos, enfin, à bras-le-corps. Je vais l’épouser, la bouffer jusqu’à la frénésie, et vivre la vie qui me sied, que je prise, dont je n’osais pas même rêver.

Sous d’autres latitudes, Esteban au bout de ma main, Berthe sous le bras, je vais partir vivre nos fantasmagories. Oublier les délires productivistes des éditions de l’Onguent. Découvrir les continents fertiles qui m’appellent de leurs voix de sirènes. Après tout, j’ai toujours su que mon cœur flottait dans cette migration, en cet ailleurs loquace qui nous rend à nous-même en nous faisant choisir parmi tout le reste, trier, faire acte de liberté, non plus perpétuer ce qui nous a été légué.

Se placer sur la carte, pas à l’endroit où les cigognes m’ont lâchée il y a trente-deux ans, mais là où mes lubies me portent, toujours un peu plus loin. Loin des ténèbres refoulées, des vipères ascendantes, des déterminismes furtifs. Plus près des mots débridés, des orientalismes limitrophes.

Adieu les ombres, à nous les errances. Mon enfant, ma sœur, Songe à la douceur D’aller là-bas vivre ensemble ! Aimer à loisir, Aimer et mourir Au pays qui te ressemble ! Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes De tes traîtres yeux Brillant à travers leurs larmes.

C’est pas ma faute à moi.

C’est la faute à Berthe.

1. Le trotti-trotta est un moyen de transport ultrarapide inventé par Berthe. Objectif : se déplacer ventre à terre par le vaste monde. Rapidité : la vitesse de la lumière divisée par le nombre de bibines que ledit mammifère ingurgite par jour (ce qui réduit considérablement le quotient de l’opération, laissez-moi vous le dire, mais bon, quand même…). Moyen de transport : ses pattes lancées à toute allure selon une technique jamais éclaircie jusqu’alors. Qui aurait une idée, m’en faire part aussitôt, merci…

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Commentaires
C
Berthe a vendu sa peugeot !
Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
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