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Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
16 juin 2009

MES FACETIES - Journal d’un mouton mutin

Pour lire ces modestes pages, il te faudra, cher lecteur, convoquer les vestiges d’indulgence qui traînent peut-être encore au fond de ton cerveau agité, encombré, je le sais, d’oripeaux rassis qui ne laissent que difficilement place à des sentiers inédits. Tu as raison, tu te méfies. Mais, au seuil de la découverte, au moment où, saisi d’espoir, tu ouvres ces pages, prêt à te laisser amadouer pour voir éclore sous tes yeux une histoire disponible, bien intentionnée, qui ne demande qu’à pousser comme une plante dévouée au rythme de tes doigts, voilà que je te dérobe à ta volupté : car d’histoire il n’y aura pas. Je suis confus de te l’apprendre ainsi, sans ménagement. Du moins, pas celle que tu pouvais attendre.

 

J’aurais tant aimé, pourtant, sois-en certain, combler pour une fois tes hémisphères en manque, emplir tes lacunes comme tes carences d’une intrigue ronde, voluptueuse, qui te caresserait de sa généreuse accessibilité. Mais c’est que j’ai moi-même été berné, je suis bien obligé de l’avouer.

 

Chaque été de chaque année, de mon enfance jusqu’à mes premiers pas dans l’âge adulte, mes vieilles tantes m’ont conté l’amour légendaire de leurs parents. Je ne me suis jamais lassé du récit de cette passion seigneuriale. De mes grands-parents elle a dessiné une image chevaleresque, qui, flottant sur la vieille maison des Pyrénées comme un ange tutélaire, veillait sur moi. Ainsi me lisaient-elles chaque soir les lettres que s’écrivaient l’un à l’autre ces deux mages emportés par l’amour. Et je m’endormais, quittant le monde des vivants pour retrouver le château fort où ces deux êtres que je n’ai pas connus revivaient dans l’éternité de mes nuits l’idylle dont mes tantes se repaissaient comme de leur réminiscence préférée.

 

Ð

 

Gredines, intempestives, les années ont passé, et rien n’a changé. Aucun été ne m’a vu manquer au rendez-vous qui me liait avec les aïeux que je regardais vivre dans chacun de mes songes. Aussi, après la disparition de la dernière de mes tantes, ai-je résolu de raconter à mon tour cet amour plus vaste que les continents, de l’offrir au monde en le couchant sur le papier. J’ai donc hanté le grenier de la vieille maison de la montagne. J’ai ouvert les malles et vidé les armoires. J’ai retourné les matelas et effeuillé chaque livre. J’ai compulsé les tiroirs, flatté les étagères, à la recherche des lettres que mes tantes égrenaient comme une pépite à mes oreilles éblouies : en vain.

 

Comme si son règne était trop éclatant, trop insoumis pour exister véritablement, l’amour éternel semblait avoir voué ses traces à la dissolution. Je cherchai pendant des jours, pleurant de la crainte de ne pas mériter cet héritage immaculé, incapable d’en débusquer le secret, d’endosser la responsabilité de son extinction. Par ma faute, l’amour allait disparaître de ce monde. Je passai donc la maison au crible de ma terreur, mû par la conscience odieuse que jamais mon existence ne saurait assumer ce crime sans pardon. Et je finis par trouver.

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