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18 juin 2009

MES FACÉTIES - Journal d'un mouton mutin, préambule (4/5)

J’avais vu juste.

Pourtant, je m’étais bel et bien fourvoyé.

 

Ð

 

 

Tyrannique, irréductible, l’amour était bien là. Mes ancêtres n’étaient pas absents.

Mais un élément adventice s’était glissé dans l’aventure. Une petite présence impromptue, qui semblait s’être approprié progressivement leur histoire, et allait m’empêcher de vous restituer l’intrigue de mes chers grands-parents, telle que mes tantes me l’avaient contée en tout cas. Les histoires d’amour finissent mal en général. Apparemment, il y avait eu une troisième personne dans la vie de mes chers aïeux, un être à la plume loquace et à la langue redoutablement bien pendue, une créature vorace qui avait semé aux quatre vents sa gourmandise et ses caprices, enroulant les parents de mes tantes dans ses dantesques roublardises.

 

Les lettres ne faisaient pas défaut, non. Mon grand-père et ma grand-mère s’y livraient, y épanchant à longueur de page leur miel iridescent. Mais là était le hic : ils étaient constamment interrompus par une petite personne qui vous étonnera peut-être, celle qui quémande toute votre grâce et votre compréhension, celle dont peut-être vous n’aviez pas prévu de lire les aventures : un mouton en peluche au blanc pelage étrangement nommé Berthe, qui s’était mis apparemment à exister doublement, triplement, pour ne plus s’arrêter. Il était partout, au détour de chaque conversation, au cœur de la moindre lettre, au carrefour de toutes les phrases. Mes aïeux semblaient ne pas pouvoir s’en dépêtrer – et le vouloir, encore moins. Pour tout dire, ils paraissaient, d’après ce que je pouvais en lire, définitivement enclos dans le sortilège de cette petite bête aux irrattrapables malices.

 

Ð

 

 

Autant te le dire tout net, lecteur soupçonneux : Berthe se mêlait de tout, sans pudeur, sans respect, sans mesure. Il était partout et nulle part, comme le destin accroché à tes basques. Je préfère te mettre en garde sans ambages, car, peut-être l’as-tu deviné, c’est malheureusement ses pérégrinations à lui que tu t’apprêtes à lire, sans doute bien malgré toi. J’avais d’abord décidé, sous l’auguste impulsion des spectres du grenier, enfermé entre les murs de cette pièce sombre, poussiéreuse, pléthorique, de tout faire pour m’en tenir à mon projet initial. La seule issue était d’expurger la correspondance amoureuse de mes aïeux de chacune des saillies indésirables de cette inopinée bestiole. J’ai donc tenté de procéder à des coupes, de polir, de nettoyer le texte des incursions intempestives de cette blanche petite créature que j’apprenais à connaître au fil de ma lecture. Mais ses intrusions étaient si nombreuses, survenant à n’importe quel endroit de n’importe quelle conversation transcrite, que l’opération se révéla un véritable massacre épistolaire. Crois-m’en, ami désappointé… Les lettres ne ressemblaient plus à rien. On se serait cru sur un champ de bataille. Les mots gisaient, amputés de leur chair. Misérables et dépenaillées – que dis-je ? –, décharnées, pendantes, branlantes et informes, les confidences n’en étaient plus. Les missives ne tenaient tout simplement pas debout.

 

Comme tu l’imagines, toi que je ne crois pas injuste, je me retrouvai fort marri. Par ma faute, le monde allait se retrouver privé de son suc unique. Tout ça parce que je m’étais révélé incapable de faire correctement mon travail de passeur. Je pleurai à chaudes larmes, inconsolable devant ce fiasco sans prix. Mon héritage allait périr aux oubliettes, pourrissant dans un grenier branlant des Pyrénées. Le monde allait tout bonnement s’écrouler sous mes yeux. Ma responsabilité était inquantifiable.

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