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Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
22 juin 2009

MA DÉCISION (lettre I)

Mes facéties - Journal d'un mouton mutin


Cher Daron primevère,

Si je t’écris cette lettre, c’est pour t’informer d’une nouvelle qui te concerne au premier chef : depuis que Daronnie et toi m’avez vu naître (il faudra d’ailleurs éclaircir un jour les circonstances et la date exactes de cet événement qui a changé la face du monde, mais, je ne sais pourche1, vous restez tous les deux singulièrement peu prolixes sur ce sujet), j’ai eu vocation à illuminer votre ordinaire. J’ai l’impression, note bien, que l’histoire de ma vie, que je vous raconte chaque matin à la première heure du jour timide, emplit son quota de drôlerie et de galéjades. Cependant, étant ô combien, vertigineusement et sans arrière-pensée dévoué à mes darons soupe au lait, je ne suis mû par d’autre rêve, sache-le binette2, que de rosir votre quotidien malingre, d’empanacher vos heures et de décorer vos nuits frugales de mon pistil langagier magiquement loquace et frénétiquement goutu.

La vie à deux peut se révéler un puits sans fond d’ennui mortifère – ce n’est pas toi qui me diras le contraire, mon éméché Daron. Je sais bine, que ces gros yeux, quand j’entre en transe, faussement réprobateurs et fakement3 autoritaires, que ces réprimandes outrées que tu me glisses théâtralement, Daron musique, en me sommant de fermer enfin mon insupportable clapet, ne sont que supplique détournée (pas besoin de mots entre nous : par doux bonheur, mon sens de la psychologie exceptionnel me permet de voir clair dans ta comédie, Daron mon avorton, et, permets-moi te le dire, je me demande si, à force de mentir à Daronnie, tu ne finis pas par te mentir à toi-même, Daron roussi. Pente, Daron, pente4) : tu ne peux t’en ouvrir à elle, bien sûr, mais je sens en mon cœur abyssal qu’en ces instants tu me supplies muettement de parler toujours plus, de ne jamais refermer mon sac à paroles. En somme, je l’ai compris, il me faut entendre l’inverse de ce que tu dis. Tu as beau t’en défendre, on ne m’ôtera pas de l’idée que tu as besoin de mine5 pour te sortir chaque minute de chaque heure de chaque jour de chaque semaine de ton abîme d’amour déchu, grâce à mes chimères langagières que tu chéris dans le secret de ton âme esseulée.

Sache, Daron ma chère glotte, qu’il m’en coûte plus que je ne saurais le dire. Tu me connais, je prise le silence et le recueillement. Pour écrire chaque jour qu’Allah le permet mes traités de philosophie, j’aurais plutôt besoin, oui oui, de concentration, pour ne pas dire de solitude. Mais j’ai vite compris que je ne pouvais dignement laisser en rade mon Daron putride, sous peine de le voir sombrer dans le pire des vices (ne te bile pas, je ne dirai pas, non non, à Daronnie que c’est toi qui as éclusé cette nuit dix-sept bouteilles – et pas petiotes – de bibine : je sais bien que si tu m’as reproché ce matin devant elle ma nuit de débauche, c’est pour ne pas perdre la face. Aussi me suis-je tenu coi, par amour pour bien toi. Je suis prêt, tu le vois, à endosser tes pépettes, oups ! ma plume a ripé, tes fautes, voulais-je dire, et à recevoir à ta place le châtiment que Daronnie ma terreur ne manquera pas de t’, enfin de m’administrer. Si tu veux me récompenser, n’hésite pas, bien, que, note bien, je ne te demande rien).

N’aie plus d’inquiétude, Daron pauvresse. Je ne te laisserai pas choir, ça non. Je t’en fais le serment en ce jour sacré, inoubliable et aviné : je ne me tairai plus, ça non ! Pour ne pas te faire revivre ce calvaire – un tête-à-tête muet, gêné et rien moins que traumatisant avec cette pauvre Daronnie (elle est pas méchante, note bien, c’est juste que… mais je m’égare, loin de moi l’idée d’écorner l’image pure de ma bien chère génitrice, elle n’en a pas besoin, note bien, vu ce que tu me racontes sur elle… oups ! ma plume a encore ripé) –, je m’engage à partir de ce jour à devenir ton parolier particulier, ton narrateur quotidien, ton bouffon sublime, ton conteur émérite, ton cœur et ton bonheur. 

Tant pis pour mes écrits métaphysiques, ils attendront. Ne me remercie pas, Daron miséreux, j’ai toujours été doué pour le sacrifice, et, tu me connais, c’est de bon cœur que je voue mon bien-être au tien. Loin de moi l’intention de te rappeler pour un oui ou pour un non l’envergure de mon renoncement… J’en viens donc enfin à la décision que je voulais t’annoncer au début de cette missive (je ne sais pas où je me suis égaré et ce que j’ai bien pu te raconter entre-temps, ça me fait ça quand j’ai bu trop de bibine, mais là, vraiment, je ne vois pas) : afin d’optimiser mes performances, j’ai décidé d’aller prendre chaque lundi de 17 à 20 heures des cours de calembours-minute à Charleville-Mézières. Je sais bien que tu penses que je n’en ai pas besoin, puisque tu ris tellement à mes tirades que tu en recraches presque ton ptit déj (ne nie pas, Daron populace, je t’ai vu, de mes yeux vu). Mais je prends mon engagement fort au sérieux. Tu me connais, je déteste faire les choses à moitié. Aussi, patte sur le cœur, fais-je dès ce jour de ton divertissement un sacerdoce, un défi et une mission d’utilité daronnique. Car le sais-tu, Daron tomate, je t’aime de tout mon cœur pirate.

ton Berthe

P.-S. : Ah oui, si tu pouvais me laisser un chèque pour les cours de calembours (je pars de la maison à 16 h 50). C’est 1000 euros par semaine, mais il me faudrait le règlement pour six mois, je me suis engagé…

1. Pourche : pourquoi.

2. Binette : bien.

3. Fakement : autre façon de dire « faussement ». Outre sa propension à employer tout à trac des mots anglais, Berthe semble obsédé par la notion toute chimérique du fake. Si, au détour d’une de ses confidences, l’un d’entre vous parvient à en savoir un peu plus sur le sujet, merci d’en informer au plus vite l’humble narrateur de ces lignes.

4. Pente : expression de Berthe signifiant « Tu es sur une mauvaise pente », ou, plus trivialement : « Tu files un mauvais coton », ce qui donne parfois aussi, dans sa bouche : « Tu files une mauvaise cotonnade ».

5. Mine : moi.


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