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Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
24 juin 2009

LES PARADOXES DU TROTTI-TROTTA (lettre II)

Mes facéties - Journal d'un mouton mutin


Daron ma Bichette,

Ce petit mot modeste pour te remercier de m’avoir remis sur le droit chemin de moi-même… ou plutôt, de Charleville ! Non mais quelle bernade… Sans toi, il faut bien le dire, mon chéri oui oui, je serais arrivé en Espagne plus vite qu’il ne faut pour l’imaginer : là résident sans doute, hélas et tant mieux, la grandeur et la misère du trotti-trotta. Car, appelé par mon immuable soif de savoir (tu me connais), je cours presque trop vite, perdu sous la bise, à un tel train, pour tout te dire, Daron miracle, que, en ces instants de grâce, j’entre quasiment en transe.

Au début, quand je quitte notre chère maisonnée et pose mes pattes rue de Campo-Formio, elles se démêlent lentement, le temps de sortir du sommeil (comme tu sais, Daron épouvantail, mon secret gît dans mes quatre appendices princiers : mon génie et mon estomac, mes nuits et mon cerveau. Avec mon cul impérial, elles sont les mamelles de moi-même). Mais, à force de sillonner le pavé, en battant la campagne sur les routes de France et d’Allah, on dirait qu’une liqueur psychédélique embaume tout d’un coup mon petit cerveau mignon (encore lui) : à mesure que la vitesse s’empare de mon pelage dératé, je sens monter en moi une ferveur bachique. Les villes défilent par dizaines, les lumières s’engouffrent dans ma glotte : c’est d’un coup comme si je mangeais le monde… une expérience quasi mystique, sais-tu, Daron mécréant ?

Je suis à ce propos fort disappointed, sois-en sûr, que tu ne puisses à ton tour connaître ce vertige cinétique, quand le mouvement s’accélère comme un possédé sous mes yeux ébaubis, que mon petit corps poignant peint de son seul élan la toile, progressive et simultanée, qui se dessine sous mon bonheur en goguette. Je ne sais pourquoi Allah t’a privé de ce don suprême qu’est le trotti-trotta… il faudra que je lui pose la question un de ces jours, lors de nos rendez-vous téléphoniques. Ces jours-là, vois-tu, Il est détendu, nous parlons à bâtons rompus, c’est le bon moment pour L’interroger. Bien sûr, à première vue, cela semble rien moins qu’injuste, je te le concède. Mais tu sais qu’Il est Grand et Congruent en tout ce qu’Il accomplit comme en chaque chose qu’il décide : malgré les apparences, aucun de Ses décrets ne se révèle arbitraire après examen (prends-en bonne note, Daron ignare), et, en mon cœur, je suis certain-bien-certain qu’Il octroie à chacun ce à quoi les tréfonds latents de son être lui donnent subliminalement droit. Peut-être, un jour, seras-tu gratifié toi aussi d’une Possibilité Magique. Surtout, Daron novice, ne désespère pas…

Le seul problème de mon don personnel et unique, vois-tu, est qu’il me transforme illico presto en un véritable bolide au blanc pelage, à telle enseigne que, pris dans ma course avec le Temps, figure-toi bien que je ne vois plus goutte aux panneaux de signalisation et de direction – c’est tout de même un drôle de problème, n’est-il pine1 ? –, ce qui me fait à l’occasion emprunter des itinéraires contraires, délétères, pour ne pas dire mortifères – quelle affaire ! Ciel, créatures, fleurs, chats (grrr !), indications topographiques, eau et terre se confondent alors en un nuage surréel qui précipite les éléments les uns dans les autres, mine y compris. J’en perds mon nord, en avale mon sud, en dézingue mon est… et je n’ose te dire, Daron cravate, où est passé mon ouest pas plus tard qu’hier…

Cela expliquant ceci, tu auras compris, je pense, comment il a pu fichtrement se trouver que je me fourvoyasse de la sorte : il faut dire aussi, Daron crevasse, que ton absence pendant mon trotti-trotta, ou devrais-je dire ton désistement, a tout bonnement empêché mon deuxième don magique, personnel et unique d’exercer sa tutelle surnaturelle : mon ubiquité princière, oui oui, m’a pourtant permis, comme d’habitude (je croyais que tu y étais rodé, maintenant – j’ai tout de même deux ans et demi –, et que tu faisais en sorte, comme tout daron qui se respecte, de te tenir à ma disposition quand je suis en pèlerinage, afin de me prêter secours, assistance et le reste en cas de besoin, mais je constate qu’il n’en est rien. Je n’ai pas encore décidé, sache-le, Daron ma contrition, si je vais en tirer ou non les conséquences qui s’imposent… je te tiendrai au courant par retour de courrier), mon ubiquité irremplaçable m’a permis, disais-je donc, de te parler à chaque seconde de mon périple sur les routes des Ardennes.

Sache pour finir, Daron indigent, que pendant d’interminables minutes (des semaines, aurait-on dit) j’ai murmuré (par souci de discrétion, je ne tenais pas à alerter la France entière ni à déclencher le plan Orsec, quoique…), j’ai chantonné, ululé, coassé. J’ai pleuré toutes les larmes de mon cul. J’ai fait tap-tap-tap-tap de ma patte arrière gauche pour te rappeler à l’ordre comme je le fais toujours. Je t’ai donné des coups de patte à distance. Je t’ai bien entendu administré nombre coups de badine (il ne vaut mieux pas compter, pas envie que tu me colles un procès, j’en ai déjà bien assez sur le dos, oups, ma plume a ripé)… Mais, pour mon plus grand malheur, mes appels au secours sont restés sans réponse. À quoi peut bien servir, je te le demande, que je dispose de l’insigne privilège de te parler d’où que je sois, de l’autre bout du monde, d’ailleurs et j’en passe, si de ton côté tu pionces lamentablement, pauvre Daron parasite, sourd à mes chagrins nubiles ?

Non mais quelle bernade… Depuis quand tu fais la sieste à 16 h 50, ça vient de sortir ? Quelle déchéance… Ne me dis pas que tu n’as toujours pas cuvé la bibine d’hier, je vais finir par m’inquiéter… Seul avec moi-même (mon cul n’est quand même pas une compagnie très recommandable, bien qu’on se soit taillé une sacré bavette, tous les deux), je me suis donc vu contraint de ralentir ma course infernale pour essayer de comprendre à couic puis à couac ces panneaux mensongers. Mais, forcémine2, en voyant indiqué « Clermont-Ferrant », je n’ai pu y croire – j’ai essayé, note bien, mais sans parvenir à m’y résoudre – ce n’était pas moutonnement possible, puisque je m’étais dirigé vers le nord ! Je me suis dit que celui qui avait confectionné la pancarte devait se trouver dans le même état que toi, toquard et embué (pas de quoi être fier, Daron racaille)…

Je n’allais quand même pas rebrousser chemin si près du but ! J’ai donc continué fiérotement ma route (tu me connais, rien ni personne ne peut me faire dévier de mon sentier intérieur). En croisant les volcans, les verts coteaux, en sentant le soleil taper sur mon quintuple cul (rien ne sert de nier l’évidence), je me suis bien posé quelques questions… et puis je me suis dit qu’après tout le Nord avait droit lui aussi à son astre perso… J’ai donc continué ma route vaille que vaille… jusqu’à que je m’aperçoive qu’il était 17 h 30 passées ! Mon cours de calembours-minute avait commencé depuis une demi-heure. Pris de suées malignes, j’ai donc redoublé mes roucoulades, et c’est alors seulement, au bout de près d’une heure de SOS à vous fendre l’opercule, que tu as daigné répondre, Daron indigne, à ton Bertiche en perdition. Tu m’as enfin révélé à ma méprise. Il faut bien reconnaître que j’avais complètement perdu la boussole, ayant emprunté par mégarde la direction inverse à Charleville-Mézières. Que ne m’as-tu remis plus tôt dans le droit destin ?

La mort dans l’âme, il me faut donc te remercier, Daron fichu, car sans toi je dois avouer qu’à cette heure je serais sans doute à Barcelone en train de me remettre d’une nuit d’absinthe. Mais j’ai loupé presque un tiers de mon premier cours, et je ne peux m’empêcher de regretter que tu n’aies pas fait écho plus tôt à mon soliloque. Moi qui voulais faire grand effet avec mon trajet Paris-Charleville en dix minutes, c’est raté. Tout le monde m’a regardé en coin. Il y a même une salopine de grenouille rose qui a ricané, et mes contrepèteries n’ont pas été aussi irrésistibles que d’habitude (je devais être troublé, bien que cela m’arrive fort rarement). J’ai observé attentivement les réactions, franchement il n’y avait pas de quoi se rouler par terre. Bonjour l’humiliation.

Arrivé au terme de mon billet, je me rends compte par conséquent que la question reste entière : dois-je vraiment te remercier, Daron paprika ? À toi de le décider, dans l’obscurité lucide de ton âme en cavale…

ton Berthe indécis


1. Pine : pas.

2. Forcémine : forcément.

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