Si je t’écris
une bafouille en ce matin clair, c’est pour t’annoncer la reprise de mon
activité philosophique. Figure-toi que l’inspiration m’a visité pas plus tard
que cette nuit… tu me connais, Daron pénétrant,
je me laisse avec confiance voguer au gré des fulgurances que m’offre sans
prévenir la nuitée prolifique : elle me fait des faveurs, me confit en son
sein, pour me réserver le sésame électif de ses profondeurs analytiques.
J’étais donc
en train de pioncer comme un charme, quand j’ai été pris de picotements dans
tout le body. Comme à l’habitude, mon cul sacré fut précurseur… et,
très vite, c’est mon pelage entier qui s’est mis à me gratter comme un damné.
J’ai bien essayé de lutter, en clôturant mes paupières à la puissance dix
mille, et même, à l’infini, car il faut reconnaître qu’en ce moment, vu mon
rythme trépidant, je me sens un tout petit peu exhausted, pour ne pas
dire surmené, sais-tu, Daron contrebasse ? Bien sûr,
tu ne peux pas savoir ce que c’est, toi qui mets un point d’honneur à surtout
ne pas accepter deux boulots à la fois, et qui as besoin de trois heures pour
corriger la moindre pagette, que dis-je, la plus petite ligne, toi qui te
laisses vivre comme un bienheureux… mais, pour ma part, je crois que j’ai
peut-être pris un peu trop d’engagements professionnels ces derniers temps, et
le poids des responsabilités qui m’incombent commence à me peser sérieusemine1 : elles sont si énôôôrmes pour le si
petit mouton que je ne manque pas d’être !
Mais je
m’égare… tout ça pour dire que je n’aurais pas craché (ça non !) sur
quelques minutes de sommeil supplémentaire et pas du tout superfétatoire… Mais
tu sais ce que c’est (ou plutôt non), Daron pacha : la métaphysique n’attend pas, surtout pas (si on la
laisse filer, elle risque de ne pas revenir de sitôt… un peu susceptible, la
mégère, il s’agit donc de la caresser dans le sens du poil, foi de Bertiche !).
Il a donc fallu péniblement allumer ma lampe à pétrole, et, me vouant
docilement aux sphères célestes de mon cerveau symphonique, me mettre au
turbin. Dix heures durant, j’ai gratté sans vergogne, fait crisser le papier et
serpenter les mots sur les pages hospitalières. Mon CXIIe traité
a donc avancé tangiblement. Je ne sais plus si je t’ai dit, il s’intitule Théorème
de récursivité éthylique. Si ça t’intéresse, je peux te le forwarder
pas plus tard que ce soir, à la première heure du crépuscule. En attendant,
veux-tu que je t’en expose brièvement les arcanes (tu connais mon esprit
synthétique) ?
Bien sûr, je vais
simplifier, je ne voudrais pas que tu sois perdu dans mes forêts théoriques, Daron mon
enfant. Tout l’art de la pédagogie se tient en
cet impératif catégorique : il faut toujours se placer au niveau de son
interlocuteur. Dis-moi toutefois si tu trouves que je m’aventure dans des
régions trop absconses, je suis tellement imprégné de mes prémisses truculents,
de mes fourmillantes démonstrations, de mes sémillantes apories, de mes
saucisses anticonformistes – oups
! ma plume a ripé, sophismes,
voulais-je dire –, que j’espère parvenir à me hisser à l’envers,
c’est-à-dire à descendre jusqu’au dix-huitième sous-sol de ton esprit
candide. Ne te méprends pas, surtout pas, Daron parano, n’y vois de ma part nulle condescendance… Après tout, nul
n’est responsable de son QI, et puis je t’aime comme tu es, de tout mon petit
cœur balbutiant. C’est bien là l’essentiel, n’est-il pine ?
Alors voilà le topo. En gros, pour te résumer le tout et
te livrer gracieusement le suc, la moelle substantifique de la chôse, je dirais
que… par où commencer ? Ah oui, c’est pourtant simplet :
Tout
ce qui est à toi est à moi. Tout ce qui est à moi est à toi. Tout ce qui n’est
pas à toi est à moi. Tout ce qui n’est pas à moi peut être à toi. Ce qui est à
moi au départ n’est pas à toi mais l’est du fait de phénomène présent de
récursivité. Donc tout ce qui n’est pas à toi est à toi. Or tout ce qui est à
toi est à moi. Donc tout ce qui n’est pas à moi et pas à toi est à moi. En bonne
somme, je possède le monde. Allah est à moi. Les fleuves et les montagnes
m’appartiennent. Le ciel est mon jeu de marelle. Les papillons, mon salon. La
pluie est ma bibine perso. Tout ça tout ça. Mais, moi, moi, humble en tous mes
désirs, de ce Grand Tout cosmique, je ne souhaite qu’une toute petite chose,
que, je l’espère, Daron dispendieux, tu m’accorderas sans peine. Tu verras, que peut bien
représenter cette minuscule graine parmi l’immensité ésotérique ? Cet
objet tout petit, tout mignon, c’est la pépite du monde. Je veux épouser
Daronnie.