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Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
29 juin 2009

POLKA POTAGÈRE (lettre V)

Mes facéties - Journal d'un mouton mutin

Hey, Daron frigidaire   !

Sache que j’ai beaucoup apprécié notre petite promenade sur le site du château de la Corbière. J’ai pu m’ébrouer à foison dans les herbages, quel doux bonheur ! Cela faisait longtemps que mes prestes pattes n’avaient foulé sentiers plus moelleux. Et puis, Daron chapiteau, j’ai goûté la volupté sans égale de grignoter ta présence seul à seul l’espace de quelques heures...

Tu sais, je voulais te dire : finalement, je crois que j’ai bien fait de ne pas épouser Daronnie. Sur le coup, bien sûr, quand tu m’as gourmandé plus que vertement (ça oui !) en me crachotant dans les oreilles que ma requête n’était qu’un exemple caractérisé de mes inénarrables lubies, je n’ai pas bien compris ce que tu entendais par là. Je sais, deep deep inside in my heart, que cette réponse est purement formelle (faut pas me la faire, à moi, pour qui me prends-tu, enfin, Daron soupirail  ?) : tu ne pouvais certes pas dignement t’autoriser à abandonner cette chère Daronnie à un autre sans quelque réticence diplomatique. Je ne t’en tiens pas rigueur, j’ai flairé l’entourloupe.

Entre-temps, j’ai passé de longues heures à méditer, les binocles sur le nez – ça favorise la réflexion, tu devrais essayer : tout bien réfléchi, je ne suis plus si certain que (cette chère, et tout et tout) Daronnie soit une affaire. Pour commencer, elle cause trop. C’est bien simple, et ce n’est pas toi, Daron placide, qui me diras le contraire (ça non !), avec elle, on ne peut pas en placer une, c’est tout de même pénible ! Par-dessus le marché, j’ai réalisé, il faut que je m’en ouvre à toi, qu’elle n’est pas forcémine très bienveillante. Pour tout dire, elle est carrémine incrédule, comme bonne femme, pour ne pas insinuer franchement méfiante ! Impossible de lui faire gober quoi que ce soit, alors que toi… oups ! ma plume a ripé, je voulais dire, euh… que pour se donner de l’importance, elle contrecarre tout ce que je dis, elle prend systématiquement le contre-pied de mon propos : c’est très net, tu en prendras bonne note la prochaine fois, Daron d’eau douce.

Tout bien pesé, je pense, dans l’onctuosité enfantine de mes pattes, qui accueillent mon esprit, qu’il se joue entre Daronnie et mine1 une franche lutte de pouvoir. On dirait que ma présence la met en danger (tu crois que je lui fais de l’ombre ? c’est un comble, je suis quand même son rejeton, et, qui plus est, plutôt mignon – c’est pas moi qui le dis). Elle a dû remarquer que tu me portes jusqu’à la rage en ton petit cœur ridé… Du coup – pardonne ma brutalité, Daron ma fleur, mais rien ne sert de vivre dans la chimère, et je préfère t’ouvrir les yeux –, elle a instauré entre elle et mine une concurrence sans merci, et je t’avoue que cela me met un tout petit peu mal à l’aise.

Et, pour finir, qu’est-ce qu’elle boustifaille ! Excuse cette remarque triviale, Daron topinambour, mais c’est proprement décourageant : je fais mes courses pour la semaine, je m’échine, de toute ma minusculerie (après tout, je suis haut comme dix framboises), à rapporter en ahanant des cabas rondelets destinés à vous nourrir pour huit jours, pauvres Darons parasites, et v’là-t-y pas qu’en moins d’une heure, le fridge est dévalisé. Ça ne peut pas être toi, Daron docile, puisque, ce n’est un secret pour personne, tu passes ta vie dans les bras de Morphée… pas besoin d’être Hercule Poirot pour découvrir le pot aux roses !

Pour toutes ces raisons, tu comprendras donc, Daron pintade, que je ne peux pas accéder à ta demande. Je sais bien que tu aurais voulu te débarrasser de ta chère et tendre, et que c’est toi qui t’es débrouillé par télépathie daronnique pour m’obliger suggestivement à te demander la main de cette bien chère Daronnie (joli coup). Mais n’oublie pas que je sais et vois tout, Daron naïf.  Nous sommes reliés par un aimant, tout ce qui passe dans ta tête caracole immédiatement dans mes zygomatiques (je te raconte pas le bins !).

Je suis désolé, déclinant ton offre, de te laisser sur les bras ce fardeau putassier, mais je ne tiens pas, en mon extrême jeunesse, à m’engager pour une petite éternité. Et j’ajouterai, si tu me le permets, qu’après tout c’est toi qui, dans le temps, es parti nous rapporter cette pimbêche, oups ! non mais quelle satanée plume ! cette princesse. Ce n’est donc pas très fair play de ta part, m’est avis, d’essayer de la refiler au premier venu comme une vieille chaussette en boule (je te reconnais bien là). Moi je dis ça je dis rien, note bien.

Fort de cette courageuse décision, je me suis rendu compte que je me suis beaucoup agité ces derniers temps. J’ai travaillé plus que de raison, et fréquenté un gros tas de monde. Cet éparpillement a pu me conduire, j’en conviens, à des décisions un rien saugrenues – de ton côté, tu appelles ça des lubies. Je ne connais pas ce mot, es-tu certain que tu ne perds pas un peu la boule sur les bords, Daron vieillard  ?

Aussi ai-je décidé en ce joli jour de juin… de me planter moi-même. Je t’annonce par la présente que je vis désormais sous la terre, dans le jardin potager de tata Marinette et tonton Juju. Si tu me cherches, je suis installé très exactement à l’intersection des racines du troisième plant d’aubergines vertical et du quatrième horizontal, entre le basilic pourpre et le thym au citron. J’espère qu’ils n’oublieront pas de m’arroser, que je puisse pousser en paix. Je pense que ce petit intermède potager me sera du plus grand bénéfice.

Sais-tu, Daron tonus, il faut savoir se retirer, à l’occasion, en ce genre de grotte monacale sans voir âme qui vive, si ce n’est les taupes, mais elles sont sympatoches. Le commerce des humains est parfois épuisant… Je suis comme qui dirait en convalescence de moi-même, car, je l’ai compris, mon énergie primesautière, mon hyperactivité, ma créativité prolifique peuvent par moments constituer un danger pour mon intégrité physique et morale. Recueillement végétal et retraite souterraine me permettront donc de réévaluer mes choix de vie, de faire le point sur mes valeurs et mes options philosophiques, afin de contrecarrer, de soupeser en tout cas les décisions à l’emporte-pièce dans lesquelles mes pattes impulsives peuvent m’entraîner bien malgré moi.

Figure-toi que j’essaie de faire pousser des auberthiginades. Ce sera ma nouvelle identité, une enveloppe charnelle bio, bien dans sa peau, sans histoires de cœur, un nouveau Bertiche… Tu verras, je serai bath : violet, sucré-salé, et fort goutu ! Tu pourras me manger à foison (quelle chance tu as!). Bon, le truc, c’est que cette légumineuse moutonne bien mitonnée met trois ans pour arriver à maturité… Je suis donc enfoui, à l’état de semis, pour un bon bout de temps. Je ne sais trop s’il me sera possible de t’écrire, j’espère que tu ne m’en tiendras pas rigueur. Je n’ai pas compris encore comment marche la poste des sous-sols. Espérons qu’elle n’est pas privatisée, elle. Bref, à bientôt peut-être pour une nouvelle bafouille. Sinon, n’oublie pas, Daron pétale : il faut cultiver son jardin…

Berthe, ta petite graine

 


 

1. Mine : moi.

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