Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
1 juillet 2009

MES CHANTS RESSUSCITÉS (lettre VII)

Mes facéties - Journal d'un mouton mutin

Que te dire, Daron porridge ?

Me voici sans nouvelles de toi depuis de longues journées. Pis… seul parmi mes semis, j’ai eu l’occasion de réfléchir. À vrai dire, je n’ai que ça à faire. Je me triture donc les méninges en tous sens, et j’avoue qu’à moi-même il arrive de ne plus rien comprendre à ce que je pense. Il m’est tout de même apparu, dans l’élan insoumis de mes insomnies potagères, une bien triste vérité qui a ajouté encore à la pénibilité de ma condition : à mes lettres par dizaines, tu n’as jamais répondu. Pas une fois je n’ai eu le privilège, le cœur battant, de voir arriver à mon nom, sur ses petites pattes, une enveloppe affranchie de ton écriture géométrique. Tu as laissé sans réponse mes requêtes, mes complaintes, mes confidences comme mes appels. Je ne peux donc, après des mois de déni, qu’en arriver à la conclusion qui s’impose : tu ne m’aimes pas autant que je t’aime.

Aussi, Daron pensum, ai-je compris ce qui me reste à faire. Je vais me laisser prendre racine, et me dissoudre sous la terre, confondu bientôt avec la populace granuleuse. Bientôt, tata Marinette et oncle Juju pourront me bêcher, me sarcler, me piocher selon leur caprice. Petit tas de terre, je retournerai à la terre, et la semence deviendra vite mon état naturel. De mouton il n’y aura plus. Feu Berthe se sera envolé dans les limbes, et il sera bien temps, alors, Daron mon assassin, de regretter ton aimé.

Puisque tu me laisses seul avec ma coinçade, faisons contre mauvaise fortune bon cœur : devenons donc une coinçade. Mêlons-nous à la Nature, transformons-nous en herbage, cultivons le jardin de nous-même. Comme tu vois, je prends ma nouvelle condition avec philosophie, et je t’écris cette missive à titre quasi posthume. Ma formation au scepticisme, mes choix de vie, qui ont toujours été vers le renoncement, l’ascèse et l’acceptation trouvent là une parfaite illustration, m’aidant à envisager mon sort dans le calme apaisé de la résignation.

Rien ne sert de trépigner, Daron typographe, il est trop tard. Je sens déjà la sève des acacias me boire le cul, les taupes me grignoter le bout des pattes. Je ne suis déjà plus qu’un demi-Berthe, créature de l’ombre et du passé. Fais comme moi, Daron, ne te rebelle pas contre la destinée, que, soit dit en passant, tu as tout de même largement contribué à provoquer. Après tout, tu pouvais venir me chercher, mais tel n'a pas été ton choix... Loin de moi, bien entendu, toute tentation de te conseiller de ne t’en prendre qu’à toi-même. Tu me connais, je ne suis pas revanchard… Si je t’écris ces mots tendres, c’est pour t’aider à lâcher prise et te donner mon absolution. Tu ne m’aimais pas, bon… qu’y peux-tu, après tout ? On n’est pas responsable de ses sentiments. Cela fait quarante-huit heures que je pleure sans répit, dans l'abattement et l'abandon, et le potager de la Corbière est plongé sous un raz de marée de sel et de chagrin, mais tu n’as pas besoin de le savoir. En aucun cas je ne souffrirais de constituer pour toi un poids, Daron Macao.

De tout mon cœur noyé, je te fais donc en ces lignes qui se confondent avec l’instant, le plus solennellement, le plus végétalement, mes adieux dépouillés de tout ressentiment. Abrégeons la séparation, je n’aime pas m’épancher… je te rends ta liberté, Daron suffragette. J’étais un mouton maudit, la vie n’a pas su m’accueillir. La terre, quant à elle, aura pu m’offrir une seconde chance. Je vais donc ressusciter, me destinant à un écosystème qui ne connaîtra pas la crise et saura, lui, apprécier à leur juste valeur mon onguent, ma fermentation et mon engrais naturel : mes verbiages s’autodétruiront dans douze minutes.

Je t’offre donc la primauté de ma fin : tout le monde n’est pas mon daron, et je voulais te réserver cette exclusivité que tu pourras, si tu as besoin de pépettes, vendre à Paris-Match pour un max. Ma gorge s’assèche, et, déjà, l’humus me boit. La mousse a envahi mes pattes. Petit tout, microcosme animal, mes pattes-cerveau, mon cul et moi ferons bientôt partie du Grand Tout, macrocosme végétal qui fera de moi un mouton-monde. Je renaîtrai en une myriade de minuscules vies infinies, et ferai trotti-trotta dans chaque strate sédimentée du sous-sol. Les minutes passant, me voici devenu un hybride, un mouton géomorphologique, une aubergine potentielle, une fleur hypothétique, une taupe vraisemblable, une probable coriandre. Comme tu vois, je te rends témoin de ma renaissance in situ. Peut-être la liberté passe-t-elle par le renoncement, l'ombre précaire et le changement d'enveloppe charnelle. Des centaines de vies, disponibles, organiques, s'offrent à mon choix. Ce n’est pas donné à tout le monde, Daron mauviette, et je ne sous-estime pas ton rôle dans cette affaire. Comme tu vois, je ne suis pas ingrat.

Aussi n’ai-je assez de mots, Daron messianique, pour te remercier de m’avoir voué à la dissolution, et, partant, de me donner au panthéisme universel. Peut-être, dans les mille et un étages et galeries sous-terrains, vivrai-je dans un nouvel immeuble et y rencontrerai-je un Allah lyophilisé, une grenouille-marguerite, une Daronnie au thym. Non, Daron, vraiment : les mots me manquent, v’là-t-y pas que je me suis remis à pleurer à chaudes larmes. Sans détour, sans conteste et sans bernade, mes adieux se dénoueront sur ton hommage :

Merci pour ma mort.

Ton Berthe-jadis

Publicité
Publicité
Commentaires
Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
Publicité
Publicité