LE ROI DE LA RISTOURNE (lettre VIII)
Mes facéties- Journal d'un mouton mutin
Sal, daron
pichenette,
Sais-tu ce qui m'arrive ? Tout un chacun semblant piqué de la fièvre acheteuse en cette période de soldes frénétiques, je n'ai pas voulu être de reste. Aussi ai-je fait une affaire tout à fait lucrative. Si d'aventure ma carrière de philosophe ou de légume ne connaissait pas l'accomplissement prévu, je pourrai toujours songer à une reconversion dans le commerce...
Figure-toi bien en effet qu'au terme de quatre heures de palabre acharnée, dans un petit magasin de la rue du Faubourg-Saint-Denis qui ne payait pas de mine, j'ai réussi à arracher à un vendeur pourtant aussi voleur qu'un écureuil... douze nœuds pap pour le prix de seize ! Te rends-tu compte de la plus-value ? Pourtant, loin de moi l'idée de faire le fiérot, note bien, c'est pas joli joli de se vanter... Mais je te sens un peu jale1 sur les bords ? Promis, je te donnerai le truc quand tu seras sage. C'est tout un art...
Sur ces entrefaites, je te souhaite une bonne nuitée, Daron pataugas. Pour ma part je crois que je vais dormir avec mes douze nœuds pap, histoire de savourer à l'envi ma richesse. Ils me flatteront l’encolure et me chanteront des berceuses… Ne pleure pas, Daron mal embouché... Allez, tu m'as eu à l'usure. Je me rends à tes caprices d'enfant. Je vais essayer de me libérer de mes accaparantes obligations. Qu'importe si je perds mes boulots ? Je dirais que mon daron pauvresse n'avait plus rien à se mettre sur la culasse. Il te faut bien quelques nippes.
Puisque tu insistes, retrouvons-nous demain à la première heure de l'aube, sous
le troisième palier du crépuscule mal embouti, à l’exact instant, que tu
connais bien, où les caniveaux se rétractent pour soupirer d'aise, et partons
en goguette, puisque tu brames au clair de lune, pour dévaliser les magasins,
que je te négocie deux ou trois costumes pour le prix de dix. Y'a pas de quoi,
Daron frichtis. Non, je t’assure, ça me gêne, ne me remercie pas. Entre daron
et rejeton, quoi de plus normal ? Repose-toi bien, la journée de demain sera
longue...
Dévotement tien,
ton Berthe business-man
1. Jale : jaloux.