Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
11 juillet 2009

CARTE D'IDENTITÉ VÉGÉTALE (lettre IX)

                                                        Mes facéties - Journal d'un mouton mutin


Cher Daron populace,

Tu n’as pas rêvé : il y a quelques jours, mon enveloppe charnelle numéro douze a réussi à s’échapper de sous la terre, ma nouvelle demeure, pour faire une petite incursion au-dessus de la planète, histoire de courir les magasins. Mais rassure-toi, Daron solitude, j'assume mon auto-semence : mon être quintessent, mon entité véridique est toujours non seulement potagère et légumineuse, mais surtout souterraine, sous-jacente et terreuse. Je n'ai pas déserté le jardin de ma tante.

Je nage dans le subconscient du monde… Tu ne vas donc pas revoir ma pomme de sitôt, d’autant que je ne sais pas comment j’ai fait mon affaire, mais je me retrouve par bonne mégarde dans une drôle de posture : la nature a fait son œuvre. Tu sais combien elle est hospitalière, et elle m’a incorporé dans son efflorescence : ma patte avant gauche est désormais une pousse d’aubergine, mon cul impérial une courge en devenir, mon cou une pâquerette égarée, mes oreilles un germe d’estragon serpentine, ma patte arrière droite un minuscule poivron musqué.

Inutile de te dire combien je me sens écartelé entre ces germinations concurrentes. Je ne sais pas ce qu’il va advenir de mon corpuscule… Vais-je éclater en mille morceaux sous la traction composite de ces énergies biologiques, ou puis-je rester en l'état, mouton hybride, aromate animal et végétal, fleur fruitière ? Mon Dieu, Daron pétunia, comment, non mais cômment choisir parmi toutes ces identités ? J’avoue que ça me plairait bien d’être une fleur, je trouve que ça me ressemble, mais je ne voudrais pas trahir mon projet initial : rappelle-toi, si je me suis planté, c’est dans le seul, solennel et unique but de devenir une auberthiginade…  

Me voici donc dans une mauvaise passe. Je vais, j’erre en mon âme, pour compenser ma paralysie. Je me sens traversé de sèves contraires. Chacune essaie de m’attirer dans ses tuyaux, de faire régner ses feuillages, ses racines et ses pétales en mes fondements. Moi, bonne pâte, j’accepte tout. Tu comprends, je ne voudrais vexer aucune de ces dames : fleurs des prés, légumes colorimétriques, condiment sauvage. Mais, crois- moi sur parole, ça fait quand même une drôle d’impression de se transformer en herbacée ! Tu devrais essayer, Daron univoque. Je t’assure, c’est une expérience proprement métaphysique. On se sent épouser le ferment du monde… je nage dans la gestation cosmique et primitive de notre civilisation…

Il m’est de plus en plus difficile de t’écrire et de parler, sais-tu. Je sens une pousse me chatouiller la glotte… Il faut que je me rende disponible pour accueillir ces semences sacrées. Roule ta bosse sans moi, Daron minus. Ça sera sans doute un peu dur au début, mais, à force, tu devrais t’en sortir comme un grand. Et si je te manque, mange des légumes… Avec un peu de chance, je te serrerai la pince depuis le creux de ton assiette.

Tu verras, je suis un régal.

Berthe, ta fleur en herbe

Publicité
Publicité
Commentaires
Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
Publicité
Publicité