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Menus aérolithes pour s'assoupir en s'apaisant
25 décembre 2013

L’OMBRE DE NOËL (épisode I)

 

Une petite neige du matin enveloppe nos pas. Pourtant, c’est bien une créature du soir qui remonte la rue Lenoir. À pas de louve, la silhouette mauve dessine un angle mort dans l’entrecoupement des ombres. Le regard essaie de s’épingler à elle.
Mais, sitôt encadrée au bout de la cornée, elle escalade notre champ de vision.
Déjà, elle n’est plus là.

 

Le pic noir

Quelques jours ont passé. Comment leur échapper ? Noël est fébrile qui nous tend ses doigts de fée – bientôt, va nous enserrer pour ne plus nous lâcher. Est-ce à cela qu’elle pense, cette pauvre vieille chose qui n’en finit pas d’escalader la rue Lepic comme on gravit un mât de cocagne ? Elle butine en ahanant. Ou plutôt, à la grimace qui pince son visage ovale, sculpte des rigoles, cisèle des anfractuosités qui esquissent des pas de danse, on croirait entendre gémir ce valeureux fantôme. Mais sa bouche n’émet aucun son. Ce sont ces traits fanés et, oui, poupons, qui bougonnent et gémissent. Ces ridules, ces lignes abstraites semblent vivantes tant ces petits fossés au coin des joues, ces collines inversées en bas du menton semblent se mouvoir sur eux-mêmes. C’est une figure parsemée d’escaliers mécaniques à la fois statiques et en route pour une course rituelle qui marche ; ils s’enroulent sur eux-mêmes en petites vrilles lucides, même quand elle est à l’arrêt. Immobile, elle marche toujours. Elle essaie de s’envoler, de percer sa peau pour laisser s’échapper son corps oiseau. On aurait presque envie, la croisant, de jeter à tout hasard une caresse un peu rude sur cette tête-là.

Elle est comme les autres, cette toute petite femme qu’on a peine à suivre dans sa neige menue. Elle n’échappe pas à ce qui nous fait courir. Car il ne faut pas croire, elle est bien affairée, autant que vous ou moi. Pour Hésiode, pour Marcel, pour l’Ancien, pour Colette, elle va et vient par ces rues aux noms de dictionnaire, comme si les arpenter allait lui en donner la définition, et entre les deux rues elle cherche un pic noir, qui aurait poussé à l’intersection de ces deux noms énervants, trop prescriptifs : Lepic, Lenoir. Mais c’était trop facile, il y en a partout. Dans cette vie les larmes noires ne coulent-elles pas à pic, tombant de même ?

Il y en a partout, sous ses pieds, dans le ruissellement terreux de ce caniveau bouché, sous les roues de cette voiture lubrique qui emportent avec elle les échauffourées de leurs rêves obscurcis, dans les cris de bête juste là, de l’autre côté de la place. La ville entière est un pic noir, voilà. Ce n’était pas bien dur à deviner, quelles fausses charades ces rues-là lui content-elles ? Mais, va. Pour l’Ancien et pour Colette, pour Marie la farouche, pour Hésiode et pour Marcel, elle cherche des merveilles. Ils ouvriront leurs présents, eux aussi, pourquoi non, tous et chacun. Il le faut. Et, pour cela, elle marche, ce pauvre bout de femme, violette, obscurcie elle aussi, si chétive. Rendue à l’adolescence des quêtes époumonées.

À dire vrai, elle trotte menu, et, si on l’observe bien, on remarque qu’elle marche déjà un peu plus vite que ce matin. Un pâle sourire découd ses lèvres bleues, invisible. C’est qu’entre-temps son cabas de tissus constellé de drôles de carrés troués s’est élargi de petites choses tendres qu’elle promène comme de doux calices ou des petits chiens dociles pliés en quatre, blottis là, bien au chaud. Elle leur adresse des œillades maternelles, leur murmure de ne pas faire trop la java.

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